“Il y a dans l’homme une force mystérieuse dont la philosophie ne veut pas tenir compte… Cette force primitive, irrésistible, est la perversité naturelle, qui fait que l’homme est sans cesse à la fois homicide et suicide, assassin et bourreau” ( Charles Baudelaire – Notes nouvelles sur Edgard Poe – 1857).
Le terroriste met en scène un Réel et il nous faut tenter d’en analyser certains déterminants au regard des organisations pulsionnelles. Ce que l’observation rend évident correspond à une logique implacable. Le terroriste n’est pas suicidaire ; il cherche à tuer autrui et ce faisant il ne peut pas échapper à se tuer lui-même.
Sofiane ZRIBI indique : “ S’il est vrai qu’on retrouve en examinant les agissements et les discours de certains terroristes des éléments en faveur de la paranoia, ce sont plutôt les sujets limites et psychopathiques qui ont tendance à être facilement fascinés par la propagande véhiculée par les réseaux sociaux. Le sentiment de toute-puissance, où rien n’a plus d’importance que l’idéal religieux, le désir d’humilier et de se venger d’une société contraignante où on a du mal à se réaliser ou à grimper les échelons, l’envie de se libérer de soi et d’acquérir un autre Moi, d’être quelqu’un d’autre en quelque sorte, totalement différent, d’exister et de briller sont des motivations profondes qui poussent certains jeunes à rejoindre la filière djihadiste. L’espace dans lequel vit le terroriste est marqué par la linéarité. C’est un espace mono dimensionnel où le temps est figé, et dont l’écoulement reste conditionné par la possibilité qu’aura l’individu à se réaliser au travers d’un acte de bravoure. Toute l’économie psychique devient monopolaire, orientée vers un seul but, un seul objectif : vaincre et détruire son ennemi. L’espace linéaire est un espace sans temps et sans durée ; l’individu est un point dans cet espace. Il se déplace selon une ligne dont il ne peut plus sortir que par la mort. Sa cible est la population à qui il inocule la peur et la haine de tout ce qui lui ressemble afin de couper tous les ponts de dialogue possible entre ceux qui appartiennent à son groupe socioculturel et ses ennemis présumés”.
La pulsion de mort, nous dit S. FREUD, est ce qui tend à ramener la vie psychique pas simplement vers un état d’équilibre mais à un retour vers l’inanimé. En effet un équilibre est instable à l’égal de et en correspondance avec le vivant.
Sabina SPIELREIN avait défini un instinct mort qui s’oppose à la pulsion de conservation. Elle évoquait une destruction qui fait fi d’une vie individuelle. Otto RANK décrivait une pulsion de destruction en faisant référence au suicide, la situant à l’opposé de celles déterminant la conservation de la vie.
La pulsion vise à une décharge mais il s’agit ici d’une décharge de Kalachnikov qui sème la mort. C’est à dire, qu’opère ici une déliaison maximale. Cette pulsion S. Freud aurait pu l’appeler destrudo.
Dans Die Verneinung, S. FREUD évoque Das Wirklich Ich, qui précède l’organisation du principe de plaisir. C’est à ce niveau qu’opère le jugement d’attribution qui définit un dedans et un dehors. Il y a chez le terroriste une fixation au jugement d’attribution ; le jugement d’existence est refuté.
Dans On bat un enfant, S. FREUD décrit le fantasme où le père n’aime que moi, où il bat l’enfant que je hais. Il est possible également d’évoquer ici la position mélancolique, telle que définie dans Deuil et Mélancolie. La haine du mélancolique éprouvée contre l’objet qui l’a abandonné est retournée contre le Moi. La visée est : tuer l’objet mélancolique en soi et sur la personne victime. À la différence du terroriste, le mélancolique trouve une porte de sortie dans une identification à un Surmoi. Il semble également qu’ici ne puisse opérer un jeu du fort-da. Dans ce jeu le sujet s’exerce à
constituer une aliénation et à en sortir. Pour le terroriste il ne peut être imaginé que la mère soit absente.
Qu’ en est il du statut de la répétition du même qui ici opère dans une immobilité sidérante. Dans L’Envers de la Psychanalyse, le 14/01/70, J. LACAN évoque : “ Ce quelque chose qui nous intéresse en temps que répétition et qui s’inscrit d’une dialectique de la jouissance, c’est proprement ce qui va contre la vie. Cette répétition est fonction d’un cycle qui comporte la disparition de la vie, le retour à l’inanimé”. Dans l’ecmnésie du syndrome post-traumatique la scène du traumatisme est maintenue en image. La notion de destruction est tenue en suspens.
Quel rapport avec la Chose ? Cette Chose, premier objet perdu, que le sujet cherche toujours à retrouver. Dans son Dictionnaire de la Psychanalyse Bernard VANDERMERSCH nous dit : “Faire Un avec la Chose serait de sortir du champ du signifiant et donc de la subjectivité. Roland CHEMAMA nous dit que : “ La Chose élidée, réduite à son lieu, voilà l’Autre”. Pour le terroriste il semble que cette recherche de ce qui constitue la jouissance de l’Autre n’est plus un impossible.
Qu’en est il de cet Autre ? Pour B. VANDERMERSCH : “ Le sujet nait d’une coupure et n’est que cette coupure entre le signifiant qui le représente et l’Autre signifiant qui authentifie cette représentation”. L’instance imaginaire du Moi se modélise au regard de ce qui manque dans l’Autre. Ici règne un Autre non barré qui constitue un Un qui dicte sa Loi.
Le terroriste ne se pose pas de questions sur ce que l’Autre lui demande. Il n’interroge pas le désir que cette demande recèle. Cette absence d’incertitude sur ce désir le dispense d’affects d’angoisse. Sa disposition est toute différente de celle du mystique qui est en contemplation avec son Idéal du Moi et en relation fusionnelle avec l’Autre tout en l’interrogeant.
Pour Gérald BRONNER : “ L’idéologie djihadiste fournit à une armée de frustrés les atours de ce qu’ils croient un instant être de la grandeur”. Ici s’illustre un Moi Idéal qui ne peut évoluer vers un Idéal du Moi – Moi Idéal bien particulier : Idéal de toute-puissance, identification primaire qui est une identification héroïque. Cette configuration est différente de celle de la passion amoureuse où Moi Idéal et Idéal du Moi entrent en coalescence, où Moi et autre entrent en coincidence de phase.
Il y a ici une absence d’un miroir empathique, un vécu de confusion entre soi et l’autre, une absence de recherche chez l’autre d’un reflet à ses éprouvés, un effacement de la limite entre soi et l’autre. Le narcissisme implique un reflet ; en l’absence de réverbération il ne peut y avoir de représentation.
Le double pour être double comporte la dimension du semblable mais il doit comporter également celle du différent. À la différence ici de l’impossible différenciation et constitution de l’autre comme un double empathique.
Le sujet reste enfermé dans une représentation de lui-même qui est de l’ordre de l’identique. Il y a captation du double mais elle ne s’effectue pas en relation avec des semblables. Le stade du miroir ne peut opérer comme carrefour structural. Il n’y a pas de transitivisme identificatoire dirigé sur autrui.
En effet l’identique se distingue du semblable qui implique un décalage, un pas-de-côté. Le semblable organise la problématique du double et permet de décoller de l’Un. La confrontation à l’autre sans un Autre est insoutenable ; faute de soutien elle est intenable.
A partir du moment où je suis susceptible d’exister en tant qu’autre, comment puis-je être distingué des autres, sinon ce qui m’a structuré en fonction de ma rencontre avec quelques Autres.
En temps que sujet je ne dispose que de l’aliénation pour éviter l’exclusion. Ici il n’y a que la mort qui s’offre à moi pour avoir la liberté.
Dans le livre de la Génèse, le désir de savoir au Jardin d’Éden est frappé d’un interdit. “ Si vous mangez du fruit de l’arbre de la connaissance, vous serez comme des dieux “. Ce qui fut source de quelques affres avec la menace d’une sombre géhenne. Avec le terrorisme voilà ce à quoi nous mène la soumission à un Autre non barré, à cette absence de la recherche chez l’autre d’un reflet à ses éprouvés.
Jean-Pierre MEAUX