Image et représentation | Jean-Pierre MEAUX

Pour Freud l’image se situe au niveau de la perception. L’image est sensorielle. Freud place l’image visuelle au pôle perceptif de l’appareil psychique.

Pour Pierre Kaufmann l’image apparaît comme reproduction et porte en elle l’idée d’un objet qui serait son référent. Elle est une découpe singulière et dans cette mesure elle exclut toute autre scène.

Eikon signifie image. L’icône est un signe semblable à ce qu’il dénote. Jacques Cohen (5) parle d’une iconophobie propre à la psychanalyse. L’image, dit-il, comme lieu de non vérité du sujet, comme lieu de sa méconnaissance la plus irréductible, comme identification leurrante de l’autre à moi et de moi à l’autre apparaît paradoxalement nécessaire et mortifère. L’image asphyxie parce qu’elle est constamment pleine ; elle tend sans arrêt à combler le manque.

Dans un article qu’elle a intitulé : ça me regarde, Denise Lachaud (9) évoque l’interdit mosaïque qui frappe l’image. L’usage est proscrit, dit-elle et de l’image-regard et du nom de Dieu-voix. Regard et voix qui, réunis, seraient propres à présenter l’Un.

Dans l’Esquisse, ajoute-t-elle, Freud fait de l’image la métonymie du Réel ou encore le reste d’une perception qu’il a dite première.

Idéaliser c’est tenir l’Autre à l’abri de la castration. Avec l’idole le visible comble le regard. Et c’est sans reste. Tout autre champ est neutralisé au profit de l’idole.

Dans un texte intitulé : L’image dans la cure, Jean-Marie Forget (6) fait référence au séminaire sur Les écrits techniques de Freud. Il rapporte le propos de Lacan : « Le propre de l’image, c’est l’investissement par la libido. On appelle investissement libidinal ce en quoi un objet devient désirable, c’est-à-dire ce à quoi il se confond avec cette image que nous portons en nous, diversement et plus ou moins structurée. »

Dans l’opposition thématique Fort Da, l’enfant transcende, porte sur le plan symbolique le phénomène de la présence et de l’absence. Il se rend maître de la Chose pour autant que justement il la détruit.

À la projection de l’image succède constamment celle du désir. Jeu de bascule, jeu de miroir. Bien entendu cette articulation ne se produit pas qu’une fois. Elle se répète.

Pour François WAHL ( 14), l’image comme donnée est le règne du continu sans hiatus ; il n’y a ni rupture de surface, ni limite dans le champ de l’image, qui est toujours en temps que telle le même.

La fonction de l’image est essentielle pour la reconnaissance pragmatique de ce qui du semblable fait retour.

L’image « « ne prend » et ne prend sa valeur identificatoire que pour ce qu’un trait dans l’Autre la garantit.

La distribution chez Lacan est claire : l’image comme position du semblable – de soi à soi comme à tel autre – produit l’identifier, cependant qu’au champ distinctif de la lettre il y a production – et c’est tout autre chose – de l’identique. Une image, pour autant qu’elle est constituée, est un énoncé qui fait Un.

Marie-José Mondzain (12) pose la question : L’image peut-elle tuer ? La violence serait puissance avant d’être ou ne pas être un acte. Le visible serait-il au service d’une irruption massive de la violence des désirs ou est-il susceptible d’un traitement symbolique ? Le visible nous affecte en tant qu’il a affaire avec la puissance du désir et qu’il nous met en demeure de trouver les moyens d’aimer ou de haïr ensemble. L’image ne se soutient que dans la dissimilitude, dans l’écart entre le visible et le sujet du regard. La seule image qui possède la force de transformer la violence en liberté critique, c’est l’image qui incarne.

Dans l’incorporation on ne fait plus qu’un, dans l’image incarnée se constituent trois instances indissociables : le visible, l’invisible et le regard qui les met en relation. L’image appartient à une étrange logique du tiers-inclus.

Sans désir de voir il n’est point d’image, même si l’objet de ce désir n’est autre que le regard lui-même. Tout producteur d’images qui souhaite obtenir une réponse incontrôlable à une stimulation du désir utilise des images qui maintiennent le spectateur dans une inaptitude symbolique. La caractéristique fondamentale de l’image, c’est son immédiateté, sa résistance primitive à la médiation.

Dans un article intitulé : L’image : vérité et illusion dans la philosophie classique de la connaissance, Catherine Larrere (10) considère que la représentation est un des mots sur lesquels il y a le plus d’équivoque. Au début du Leviathan Hobbes donne une définition de la sensation comme représentation. Il dit que la pensée, qu’il fait commencer à la sensation est représentative parce-que chacune d’entre elles est la représentation, l’apparition de quelque qualité, de quelque autre accident, d’un corps situé hors de nous ; celui-ci est communément appelé un objet.

Pour Malebranche, si l’image est représentation, elle est inséparable d’un sujet qui imagine. Condillac donne une définition proche quand il dit qu’imaginer, c’est se représenter une chose absente.

L’image – l’icône – est menaçante, en ce qu’elle peut tenter d’usurper la ressemblance, en proclamant l’identité, d’usurper la réalité de ce dont elle n’est qu’une copie.

Pour qu’il y ait une vérité, il faut qu’il y ait un sujet. L’illusion intervient quand le sujet s’absente.

La représentation implique une scène. Elle caractérise ce qui distingue le sentiment de l’émotion.

Laplanche et Pontalis soulignent que Freud distingue représentation de chose et représentation de mot. Il distingue une représentation essentiellement visuelle qui dérive de la chose et une autre essentiellement acoustique qui dérive du mot. La liaison de la représentation de chose à la représentation de mot correspondant caractérise le système préconscient-conscient tandis que le système inconscient ne comprend que des représentations de chose.

Denise Lachaud indique que, dans l’Esquisse, Freud montre qu’il n’y a de représentation que par défaut d’objet. Très tôt Freud fait de l’image la métonymie du Réel ou encore le reste d’une perception qu’il a dite première.

Pour Marie Bonnafé Villechenoux (3), les éléments iconiques rentrant en rapport étroit avec les productions du langage, avec les représentations de mot, du côté du sens, il existe un registre pluriel de représentations significatives. Dans ce registre les représentations iconiques viennent seconder, et même dualiser le langage.

Certains analysants ont une forme de pensée associative qui procède en images visuelles de façon prévalente, aux dépens d’un va-et-vient des impressions visuelles et des associations verbales. Il s’agit souvent de patients ayant vécu de façon prolongée des situations d’enfance traumatique.

Jean Bergés (2) souligne l’intérêt du concept de refoulement dans son lien avec la représentation. C’est, dit-il, de nous ouvrir les yeux sur ce fait central, à savoir que les rejetons de ce refoulement n’ont droit de cité que de l’éclipse de la représentation, dont l’ombre est propice à rendre cette représentation tout à fait inaltérable, indestructible… Cette extinction ne trouve-t-elle pas son ressort, sa dynamique de scotome dans les effets de ce qu’il faut bien introduire ici comme le processus du refoulement primordial dans ses liens avec la représentation et l’image. C’est lui qui vient introduire une dimension symbolique évoquant les effets du signifiant dans le langage.

La représentation de chose, qui est du coté du scopique, acquiert la profondeur et donc ne spécifie la chose, que dans la mesure où elle implique ce qui n’est pas vu du visible… Ce qui est invisible du visible et ce qui est visible de l’invisible dans la représentation de chose vient dès lors s’articuler avec la représentation de mot. La profondeur de champ du regard et la profondeur du champ de la parole ne surgissent que de ce qui n’est pas vu, n’est pas dit ou entendu. Le refoulement est à l’œuvre, le refoulé fait retour.

Qu’en est-il des relations entre l’image et imaginaire ?

Pour Béatrice Chemama-Steiner (4), l’artiste sépare du monde mouvant des formes, une forme qu’il fixe d’un « c’est ça », point de départ d’un nouveau discernement opéré sur le réel par la découpe de son regard et de sa main – en fait simple scénario imaginaire qui tente une reconstitution dont le Réel toujours échappe.

Pour François Wahl (14), au creux du plein apparent de l’image il y a un manque dont le désir est le témoin, manque qui traverse l’Imaginaire puisque d’Imaginaire bien que non-spécularisable est l’objet a.

La structure de l’Imaginaire la voue au risque que le semblable ne soit dans la position du modèle comme celle de la copie que semblant.

L’Imaginaire lacanien déborde le seul registre de l’image proprement dite et recouvre en fait le tout de la vie mentale pour autant qu’elle n’est pas redressée par sa prise dans l’Autre, dont la détermination de signifié par le signifiant est une occurrence première.

Ce qui est soustrait au voir est le défi du désir de voir. Rien là qui soit propre au voir si bien propre au désir. Le visible, quant à lui se retourne sur lui-même dans l’énigme de sa substance, qui est la visibilité.

Entre voir et regard : schize de l’être : proposition fondatrice qui n’a à retenir de la représentation que ce qui lui manque, proposition constituante d’un sujet.

Ainsi donc l’image n’est pas de l’Imaginaire ou plutôt l’Imaginaire n’est pas composé que d’images.

L’image est totalement à l’œuvre dans l’effet de fascination. Narcisse ignore que c’est lui-même qu’il voit dans l’eau et cette ignorance lui est fatale.

A cet effet de fascination peut s’associer un Imaginaire défaillant. C’est ce qui rend si angoissante la dysmorphophobie.

L’Imaginaire intervient en composition avec le symbolique dans la constitution des concepts ( cf les variations de clair obscur) (8).

Nous pouvons nous représenter deux fictions à l’origine d’une représentation :

– un ( narcissisme primordial) – manque à être

– un objet a – manque sous-jacent au désir

Cet objet a qui répond au silence dans l’Autre

Cet objet a dont la chute met en place le S barré

Il n’y a pas d’image du manque, nous dit Lacan.

Le manque est nécessaire pour qu’une image puisse devenir représentation.

Narcissisme primordial qui correspond au trait unaire

Trait unaire qui se rapporte non pas à la présence, non pas à l’absence mais à la différence entre présence et absence ( Marc Darmon).

L’image mentale est en fait une représentation.

L’image n’acquiert le statut de représentation qu’à la faveur d’un refoulement primordial.

Ça colle ou ça ne colle pas – ça correspond ou ça ne correspond pas

Alternative qui repose sur une opposition.

Dans la métaphore, ça correspond mais pas tout à fait.

Tous les mécanismes de défense ( Verneinung – Verleugnung – Verwerfung) indiquent : ce n’est pas ça.

L’image exerce son effet de fascination quand ce qui attire le regard rencontre chez le sujet cette part de lui-même où est enchâssé l’objet a.

Dans le syndrome post-traumatique il n’y a pas d’inscription dans l’Inconscient qui la rende métabolisable.

Objet a dont les épigones attirent à la fois attirance et répulsion.

Dans un article intitulé : Quelques effets de la répétition dans la cure analytique, Alicia Kweksilber (7) considère que : « pour Lacan la différence qui fonde la répétition se situe entre le trait, la trace mnésique ou le Un d’une part et ce qui est produit par la répétition comme élément hétérogène à savoir l’objet a, point original du processus de la répétition ».

L’image mentale devient représentation versant regard. Sur le même modèle que les signifiants deviennent représentation de mot versant voix.

Pour Laplanche et Pontalis : « Freud utilise tantôt le terme de pulsion : Trieb, tantôt celui d’excitation Reiz. Tantôt il parle de Psychische reprasentanz : représentant psychique de la pulsion qui me paraît plutôt correspondre au reiz, tantôt de celui de Triebereprasantanz ou Vortstellung reprasantanz : représentant-représentation, délégation de la représentation dans la constitution duquel intervient le signifiant ».

La mise en jeu du symbolique par le biais du langage permet que se constitue un Inconscient. Nous retrouvons cette bipartition entre image et désir dans le rêve qui peut figurer ou bien retour d’événement traumatique ou bien accomplissement de désir.

Entre : d’une part ecmnésie post-traumatique, dans une répétition d’un même, dans une dimension synchronique ; d’autre part accomplissement de désir qui conditionne la structure dans une dimension diachronique.

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