L’avènement de la fibromyalgie

Une nouvelle étoile est née dans la constellation médicale : la fibromyalgie…

En fait plutôt qu’une maladie, bien qu’elle soient étiquetée telle, il s’agit plutôt d’un syndrome. Elle affecte essentiellement la femme et se caractérise par des douleurs chroniques musculaires ou plus spécifiquement tendineuses. Les sensations évoquent une allodynie c’est-à-dire une perception majorée après un stimulus présumé non douloureux.

_ _ _ _ _ _ _ _ _ _

La douleur est une expérience sensorielle et émotionnelle désagréable.

Elle comporte une composante cognitive et une composante affective.

La composante cognitive est considérée exprimant la signification de la douleur.

La composante affective et émotionnelle influe sur la durée et l’intensité.

L’impression de la douleur varie d’un sujet à un autre et pour un sujet dans le temps.

La fibromyalgie est considérée associée à une dépression de l’humeur.

Il est à signaler que l’antalgique indiqué dans la fibromyalgie est le tramadol , qui agit sur les synapses noradrénergiques.

Nous constatons en conclusion un trouble de la perception de la douleur avec réduction du seuil douloureux et incapacité d’adaptation.

QUEL CONTEXTE ?

À notre époque la douleur est devenue intolérable.

Les temps modernes se doivent de l’éradiquer totalement.

À l’heure de l’hédonisme triomphant elle devient inacceptable.

Les autorités sanitaires ont institué des Centres de la Douleur.

Chaque établissement hospitalier est doté d’un Comité de Lutte contre la Douleur, qui doit rendre des comptes pour indiquer les mesures qu’il a prises, en correspondance à des pratiques médicales qui s’imposent de façon absolue.

Dans ces conditions comment s’étonner que certains sujets en souffrance s’engouffrent dans cette nouvelle voie ouverte à l’expression de leur ressentiment.

Le corps souffrant appelle la compassion.

La souffrance morale déborde la souffrance physique ; souffrance morale qui est affaire de circonstances étiologiques mais également de caractéristiques de personnalité.

Souffrance et revendication constituent les deux composantes intervenant dans le déterminisme de la fibromyalgie ; elles sont indissociables et se renforcent réciproquement.

QUELLES MODALITES RELATIONNELLES MISES EN JEU ?

Dans la confrontation de la fibromyalgique avec son entourage il n’y a pas d’instance tierce repérable.

La fibromyalgique se plaint de ne pas trouver d’interlocuteur.

Elle se perçoit exclue, rejeté.

Elle peut trouver dans son environnement un ou plusieurs membres compatissants : ils sont sommés de se soumettre à sa revendication , sinon ils rejoignent la cohorte de ceux qui ne la comprennent pas.

Il n’y a plus d’énonciation qui ait valeur de modèle : la fibromyalgique est toujours en position de compétition.

Elle vit dans une permanente insécurité, sans ressentir véritablement d’anxiété.

La fibromyalgique se considère victime d’une situation dont elle subit les conséquences dans son corps, sans que puisse être repéré quelque mécanisme de déplacement ou de refoulement.

L’affect prévalent est perçu d’ordre dépressif mais cette dimension dépressive ne résulte pas d’une douleur d’être, mais une insatisfaction profonde avec un sentiment d’injustice, d’un dol qui demande réparation ; « je ne supporte pas d’être dépressive » indiquait une patiente.

Le rapport à autrui ne s’établit pas en fonction d’un désir, d’un manque mais d’une demande et d’un éprouvé de perte.

La fibromyalgique met la même insistance que l’hypocondriaque à revendiquer un statut de malade.

FIBROMYALGIE ET HARCELEMENT : MÊME COMBAT

Il est de bon ton de revendiquer.

Celui qui ne revendique pas est un faible qui ne participe pas aux règles conflictuelles qui constituent le lot quotidien de tout un chacun.

Celui qui ne réussit pas à assumer sa vie de couple targue son conjoint de harcèlement moral.

Celui qui ne parvient pas à affronter des situations professionnelles de subordination, de compétition ou de rivalité est victime d’un harcèlement sur son lieu de travail.

Il ne s’agit pas ici de sous-estimer les aspects particuliers de l’extension généralisée de processus pervers dans notre société mais il nous faut bien constater que se plaindre apporte de multiples bénéfices secondaires, voire primaires.

Le vécu de préjudice est au goût du jour.

Il ne s’agit pas d’une plainte vécue dans la passivité mais d’une revendication active ; « on ne se sent pas entendre » disait une patiente .

DEMESURE DE LA DEMANDE

La dimension de la demande prévaut dans les modalités relationnelles de la fibromyalgique ; ce qui caractérise cette demande , c’est sa démesure.

La fibromyalgique pâtit du caractère insatiable de sa demande.

Aucune contrepartie qui exigerait la mise en cause de sa responsabilité et de son initiative personnelle n’est recevable.

Une souffrance corporelle sans limites justifie que lui répondent sans délai et totalement le corps médical et le corps social.

Dans une telle structure il n’y a plus place à permettre l’organisation d’un lieu pour quelque objet de désir.

La fibromyalgique ne peut admettre que l’objet de sa demande soit manquant.

Le refus de toute frustration débouche sur un vécu traumatique et une revendication tous azimuts.

En conséquence il y a souvent récusation d’une souffrance psychologique et refus d’un abord psychothérapique ; refus larvé ou manifeste.

Au bénéfice d’un appel au discours de la Science pour museler toute interprétation qui mettrait en cause quelque responsabilité dans le mal qui l’atteint, pour annuler quelque interrogation qui la débouterait de sa position de victime.

Le manque est vécu dans la catégorie de la frustration : manque imaginaire d’un objet réel.

Cet objet réel est en l’occurrence de l’ordre d’un pouvoir : pouvoir dans le relationnel ( par exemple celui qu’une mère tient à exercer sur ses enfants ) ou dans le social ( au point de convergence des avantages présumés et des ambitions personnelles ).

QUELLE DOULEUR ? QUEL CORPS ?

La douleur est exposée comme un trait identifiant le sujet.

Elle lui offre un support sur lequel va se développer un phallicisme défaillant, y trouvant l’occasion ultime d’une expression inépuisable.

Si la manifestation de conversion somatique fait symptôme chez l’hystérique, chez la fibromyalgique la douleur ne fait-elle pas office de trait unaire ?

Certes la demande est adressée de façon réitérée à un Autre , mais elle peut se maintenir à l’identique même quand celui-ci n’est plus supposé répondre.

Chez l’hystérique la demande est adressée à l’Autre quant à savoir quel est son désir.

Chez la fibromyalgique la demande est adressée à l’Autre sans qu’y soit articulé quelque désir ; il y a demande de reconnaissance d’un dol dont le corps porte la marque .

Dans cette dimension la fibromyalgie est proche de l’hypocondrie.

Il est actuellement de bon ton que les patients soumis à un traitement psychotrope se plaignent des effets secondaires des médicaments qui leur sont prescrits, en correspondance avec l’ambitendance névrotique qui caractérise leur organisation désirante.

Au contraire les fibromyalgiques réclament à corps et à cri des antalgiques, sans se plaindre d’effets collatéraux, pourtant souvent non négligeables ni d’une dépendance qui les asservit.

Elles recherchent les points douloureux tels que décrits dans la nomenclature ; elles offrent leur corps à toutes les explorations complémentaires pour tenter d’associer à leurs symptômes des représentations objectivantes.

Le corps de la fibromyalgique n’est pas le corps de l’hystérique, ni celui du psychosomatique.

N’est-il pas un corps réel en demande d’imaginarisation ?

Tout à la fois la fibromyalgique dispose d’un savoir sur son corps et le revendique.

C’est par l’intermédiaire de ce corps souffrant qu’elle cherche à exercer un pouvoir sur ceux qui parmi son entourage y consentent.

Ce corps est le dernier lieu où peut s’illustrer une revendication dont l’initium se situe dans un ailleurs sur lequel elle n’a pas prise.

QUELLES CONSEQUENCES ?

Abolition de toute émanation du Principe de Plaisir

Absence d’expression de quelque libidinisation

Échec de quelque élaboration de sublimation

Dernière tentative pour subsister dans une identité minimale

Non pas construite dans une esthétique du corps

Mais reçue dans la souffrance, à la fois perçue et subie d’une part, présentée à autrui et admonestée d’autre part

Altercation réitérée au caractère insatiable puisque résultant d’un manque à être fondamental

Toute expression de la demande se trouvant subordonnée au primat d’une souffrance envahissante et subversive

Problématique de la démesure d’un Réel qui s’incarne dans une impossibilité à dire

Toute excitation pulsionnelle étant absorbée par ce Réel qui ne conçoit une altérité qu’à la condition qu’elle soit centripète au seul bénéfice de son économie

Un-passe et manque à être.

Jean-Pierre MEAUX