Décès de M. Élie DOUMIT
M. Élie Doumit, né le 13 août 1936 à Knaitt au Liban, est décédé le lundi 29 mars 2021 à Lille. Élève de Lacan, il suivit son séminaire, et membre de l’Association Lacanienne International, M. Doumit exerçait la psychanalyse à Lille, Rabat et Casablanca.
En 1997, M. Doumit fonde l’Ecole Psychanalytique du Nord, devenue École Psychanalytique des Hauts de France-membre de l’ALI.
Titulaire d’un doctorat de philosophie des sciences, M. Doumit a enseigné l’épistémologie et la psychanalyse à l’Université Charles De Gaulle à Lille.
M. Doumit a fait paraître récemment deux livres aux EME Éditions : « Lacan ou le pas de Freud. Mythes et mathèmes » en 2017 et « Le réel en psychanalyse. Entre épreuve et preuve » en 2019.
M. Doumit a joué un rôle essentiel dans la formation et la diffusion de la psychanalyse dans notre région, ainsi qu’au Maroc et au Liban.
In mémoriam - Hommages
Philippe Collinet : Élie Doumit était un Enseigneur. Il jonglait et faisait tourner les quatre discours dans un dire qui n’appartenait qu’à lui et qui nous laissait sidérés ou ébahis.Rattrapée par le Réel du grand Autre, sa voix reste inoubliable.Sympathie avec ceux qui l’ont approché du plus loin au plus intime.
Annie Peltier : Merci d’abord pour avoir accepté d’être mon analyste. Merci pour le chemin parcouru avec vous en analyse et d’abord d’avoir accepté de faire ce voyage avec moi. Merci pour votre enseignement, qui ne cessera jamais de nous enrichir. Merci pour les cours, les séminaires, les journées d’études, les rencontres-débats, les présentations de malades, les après-débats: les repas partagés avec vos invités. Que de souvenirs, à la mairie de Lille, à la Mgen, puis à la fac de lettres. Les lettres si chères à vos yeux, symboliquement. Et enfin, rue Malus et à Binet. Merci Monsieur Le Professeur. Merci Monsieur « Doux Mythe », en nous, il nous arrivait de vous nommer comme cela. Ce jeu de mots, vous le connaissiez, il ne vous a pas échappé, vous l’utilisiez parfois. Si le mythe a un caractère sacré, au jour où vous nous quittez, c’est que désormais vous entrez dans la légende. On ne mesure pas encore la chance qu’on a eue de vous avoir rencontré, eh bien pour tout cela simplement, merci. Mes pensées vont à votre famille à qui j’adresse mes sincères condoléances.
Anne Joos & Pierre Marchal : Plusieurs d’entre nous ont eu l’occasion d’être invités à participer aux travaux de l’Ecole de Lille et ce fût à chaque fois l’occasion d’une rencontre féconde. Un travail commun s’est tissé depuis de nombreuses années entre l’AFB et l’Ecole psychanalytique des Hauts de France, et durant ces dernières années cela s’est concrétisé par des journées préparatoires au séminaire d’été de l’ALI se tenant alternativement à Lille et à Bruxelles.Nous transmettons nos sincères condoléances à nos collègues de Lille.
Christian Fierens : Clinicien et logicien, rigoureux et pédagogue, c’était un homme discret, attentif, généreux et ne cédant jamais sur le sérieux de la psychanalyse.
Brigitte Kirat : Quelle nouvelle ! Sans doute l’effet du choc, moi qui, ce funeste matin même, remettais encore au lendemain, le coup de fil promis il y a quelques mois, j’éprouve le besoin de partager J’ai contacté quelques « frères et soeurs » en analyse, qui n’avaient pas forcément reçu le mail avec l’annonce du décès, pour en atténuer l’effet de surprise. Mais pas que… Nous avons échangé et nous sommes souvenus de certains moments, de certaines paroles. De sa vivacité, de sa verve inimitable, de l’intensité de sa présence. Non, décidément, je n’arrive pas à lui dire Adieu. Penser qu’au moment même où je me demandais pourquoi je ne l’appelais pas, il était en train de s’éteindre…J’aurais voulu lui dire…. mais, peu importe finalement, si je n’en ai pas eu le temps, j’étais assurée de sa bienveillance.Je peux imaginer l’intonation même de sa voix…Je ne cesse de l’entendre et d’imaginer ses réponses.Alors si, comme moi, tous ses analysants, tous ceux qui ont suivi ses séminaires, ceux dont il a supervisé la pratique, continuent de lui parler et de l’entendre, il n’est pas vraiment disparu !!?Ma profonde tristesse est mêlée de la constatation rassurante et presque joyeuse que non seulement ses écrits mais sa manière de dire et d’exercer se perpétuent… Ne nous perdons pas de vue…
Isabelle Catry : Au revoir Monsieur Doumit ! Merci d’avoir créé l’Ecole Psychanalytique des Hauts de France et de l’avoir présidée longtemps pour notre plus grand bonheur . Merci pour vos séminaires tous étonnants ,nous faisant lire Lacan et certains phénomènes de Société selon votre Logique . Merci pour votre Humour toujours surprenant . Merci pour tous les rassemblements que vous avez suscités. Rien n’était jamais compliqué .Ultime surprise ,votre départ , au regard de votre vie partagée entre Lille , Paris ,Rabat ,Casablanca et le Liban,nous vous imaginions infatigable . Vous nous manquez mais que de bons souvenirs !Reposez en paix bien méritée .
Marianange Nohra : Comment trouver les mots justes pour présenter des hommages à un grand homme de la psychanalyse ? Sa perte est une bien triste nouvelle…Lui tellement vivant, tellement tenace, heureux de vivre, tellement ouvert et perspicace… Il va beaucoup manquer à tous ceux qui l’ont connu. Et que dire pour se consoler de son départ si rapide ? Peut-être se rappeler à quel point il était lui-même courageux, pour quitter son pays d’origine, explorer de nouveaux rivages, puis fonder sa propre école en France, devient inévitablement source d’inspiration. Peut-être me rappeler personnellement à quel point je suis fière d’avoir suivi son enseignement. Dire que je suis heureuse d’avoir pris le temps de mieux le connaître, lorsque nos routes se sont croisées au Liban et en France. Me souvenir de cette première fois que je l’avais convié lors d’un Colloque International sur « L’horreur au cœur de l’humain » que j’avais moi-même organisé à Beyrouth, lorsque je présidais encore le syndicat des psychothérapeutes et psychanalyste libanais en 2016. Il avait comme d’habitude percuté avec sa justesse, son naturel et son savoir. Avouer aussi que je me souviendrai toujours de ses jeux de mots lacaniens, sa droiture, son calme, sa bonne humeur, sa patience et sa persévérance. En ces temps difficiles seule la solidarité console.Faire preuve de courage alors qu’il en faut tellement pour accepter la séparation, s’impose pour faciliter l’adaptation à la dure réalité. Nous promettre de rester en contact pour perpétuer son enseignement, et garder allumée la flamme du savoir analytique qu’il avait tellement à cœur de répandre en Orient comme en Occident…serait peut-être satisfaire son dernier désir. S’inspirer aussi de sa force peut nous aider, malgré toutes les difficultés pratiques, à continuer ensemble le chemin qu’il a tracé ici et ailleurs. Puiser de cette même énergie pour comprendre l’humain et persister à développer la passion de la psychanalyse, est source d’espoir…Sans doute est-ce ainsi que l’amour survit.
Jean-Louis Chassaing : J’appréciais sa rigueur, de logicien, de philosophe des sciences, son savoir, tenant compte de l’Histoire et des contextes. Je relisais son texte « Objet, objectivité et Réel » dans le dossier « Réflexions sur le Réel et l’objectivité » dans le numéro 15 / Mai 2014 de La Revue Lacanienne. Il y a aussi cet autre livre aux éditions EME : Lacan ou le pas de Freud (2017), avec toujours cette démarche logicienne., prudente, au pas à pas, où chaque mot compte. Sans concession aux phénomènes de mode, tels ceux qu’il dénonce au début de son livre : les usages non tempérés du mot Réel. Enfin déjà, en mai 1986 je l’avais invité au CHU de Clermont-Ferrand. Un groupe travaillait les relations entre sciences et psychanalyse. Nous avions reçu un professeur d’épistémologie clermontois, spécialiste de Karl Popper, que cet enseignant avait rencontré plusieurs fois. Je demandais alors à Elie de venir dans un deuxième temps discuter avec lui tant ce professeur avait massacré la psychanalyse. « Alors tu veux que je vienne lui faire la peau » avait perçu notre compagnon lillois ! Ce fut un peu le cas, avec tact et virulence. Toujours critique, au meilleur sens du terme, y compris à l’intérieur de l’ALI, toujours à l’ALI, d’une disponibilité et d’une générosité intelligentes, sans approche excessive, sa belle allure va nous manquer.
Wilfrid Magnier : A Elie Doumit. Sa voix restera notre voie, à nous, analystes et autres qui avons appris auprès de lui.
Ichrak Laoud : Toutes mes condoléances à son épouse Odile et à l’ensemble de ses proches. « C’est venu comme ça progressivement, j’ai essayé de m’accrocher mais là… Je suis à l’hôpital… », c’était sa dernière phrase au téléphone samedi 27 mars 2021, le rendez-vous mensuel, manqué, pour revoir ensemble mes traductions de son dernier livre Le Réel en psychanalyse entre épreuve et preuve, EME Éditions, 2019. Un grand merci pour son apport à la psychanalyse au Maroc. Toute ma gratitude d’avoir éclairé mon exil en France par de merveilleux moments, temps et instants animés par le plaisir de penser; toute ma reconnaissance d’avoir accepté que j’analyse mon transfert à travers cette belle occasion qu’est la traduction de son livre en arabe. Même son décès était à l’image de notre rencontre : entre deux rives. Je lui ai fait mes adieux au téléphone à Paris et j’ai appris qu’il nous a quitté à mon arrivée à Rabat. Un de ses patients chagriné disait que j’ai eu le privilège de l’entendre une dernière fois juste avant que la mort l’emporte. Comment je pourrais parler d’un tel grand esprit qui ne cherchait pas les lumières et qui était un défenseur sans âme de la rigueur de la pensée et dans le travail ? J’ai connu Élie Doumit en Avril 2002 à Rabat en tant que psychologue en exercice libéral et directrice d’un centre pour enfant abandonnés désireuse de faire une analyse. Cette rencontre a eu lieu grâce au projet qu’avait mis en place la Société Psychanalytique Marocaine (SPM) qui consistait à former des analystes marocains sur place par un analyste qui se déplaçait de la France à raison d’une fois par mois. Après deux années de travail avec lui au Maroc, j’ai pu prendre une des décisions les plus ravageuses pour une femme arabe à savoir quitter mon pays d’origine pour m’installer à Paris célibataire à l’âge de 33 ans. Pendant la première année de mon arrivée en France, j’ai arrêté mes séances pendant 6 mois afin de me concentrer sur mon quotidien d’immigrée. Par la suite, j’ai convenu avec É. D. que je me déplacerai de Paris à Lille une fois par mois et que je poursuivrai le reste des séances du mois, entre deux et trois fois par semaine, par téléphone. A ce jour, je considère que sans cette souplesse du cadre alliée à une orthodoxie, si je peux dire, de l’éthique, je n’aurais probablement pas pu faire une psychanalyse. Ce grand Autre qu’il a été pour moi, je pourrais le qualifier, paradoxalement, de constant et consistant dans le sens où il a toujours été là où il a été attendu sans faille. Je rétorquais aux exclamations des proches, parfois moqueuses, sur le mal que je me donnais pour me déplacer à Lille une fois par semaine, pendant un certain temps, et pour assister à son séminaire mensuel de mardi, qu’Élie Doumit représentait la seule présence stable de ma vie à l’époque. Mon analyse avec lui s’est arrêtée en 2017 par un commun accord précédé par plusieurs séances qui prenaient parfois la tournure d’un débat autour, d’une part, ce qui s’appellerait la géopolitique de la psychanalyse, et d’autre part sur une de ses interprétations de mon symptôme. Des débats, oui, parce qu’il considère que l’analyste a la responsabilité de signifier à son analysant qu’une analyse qui vise le symptôme n’est pas identique à celle qui vise le fantasme, ce qui pourrait être un moment inapproprié pour arrêter. Une thèse qu’il démontre pertinemment dans son livre Le Réel en psychanalyse. Mon argument était que je souhaitais faire une deuxième tranche d’analyse avec une femme. J’avais avancé une interprétation, à un moment difficile que je traversais, en disant que le texte d’une analyste avec laquelle je souhaitais continuer le travail, si elle m’accepte, a été d’un grand secours. Il m’a demandé son nom et l’intitulé du texte avec une tonalité, non de curiosité mais d’intérêt marqué d’enthousiasme. Ce jour, pour la première fois son oui pour me laisser partir était clair, le nom très connu de la psychanalyste parisienne choisie et la pertinence de son écrit y étaient pour quelque chose? Je n’en saurai jamais rien. Lors de séances de supervision, il lui est arrivé de l’appeler « la dame » sans la nommer. Au cours d’une matinée d’échange avec ses pairs à l’ALI sur le sujet des séparations entre analysants et analystes, je l’ai entendu répondre à un de ses confrères de l’Association « … il faut que l’analyste aussi accepte de se faire quitter… » Voilà une autre variante à mon sens de son éthique. De son apport à la psychanalyse au Maroc, nombreux de mes confrères et consœurs sur place en parleront mieux que moi. Ils ont expérimenté avec lui d’autres facettes de la souplesse du cadre dans lequel Élie Doumit ne manquait pas un moment, pour rappeler sa place d’analyste et ce malgré le cadre orthodoxe, en apparence non respecté. Son argument était qu’il faut faire avec le transfert comme il se présente. J’ai réalisé que ce n’est pas parce que l’analyste partage un moment de convivialité à l’issue d’un événement scientifique ou associatif, qu’il fait irruption dans le fantasme de son patient. Et quand bien même cela serait vrai, est-ce qu’il n’est pas analytiquement pertinent de travailler ce genre d’élément pour extirper le fantasme du poids du sens? Mes confrères et consœurs au Maroc ont également, contrairement à moi, vécu de près la scission de la Société Psychanalytique Marocaine dans laquelle Élie Doumit a été amené à faire avec sa place dans le duel a – a’ puisqu’il a bien occupé la place d’un mauvais objet, pour certains, en plus de sa fonction de grand Autre. Étant son analysante et absente lors de cet événement, il ne m’a livré sa version des faits que récemment, à l’occasion des 20 ans de la SPM. L’année dernière, lors d’un échange de courtoisie, je lui ai fait part de mon souhait de traduire son deuxième livre, lui proposant la lecture de de la première leçon déjà prête. La décision de son implication et le choix d’une lectrice collègue libanaise ( tiers bienvenue) a été prise lorsque j’ai dit que cette traduction est une tuché pour moi par mon transfert sur Lacan et sur la psychanalyse qui a changé ma vie. D’autant que si je souhaitais sa participation, c’est qu’il m’importait de donner du mien mais sans dénaturer le propre de la théorie lacanienne. Quant au reste, j’ai appris avec lui à ne pas compter avec le désir de reconnaissance. Sa joie de lire son texte en arabe qu’il maîtrisait plus que je ne le pensais, était visible, notamment quand j’ai dépassé la moitié du livre, il n’a pas cédé pour autant sur sa place et n’a, à aucun moment, exprimé une demande. Même sur son lit de mort, il souhaitait que ce travail de traduction se poursuive alors qu’il ne pouvait plus y participer. Une autre facette de sa rigueur. Son dernier livre met en lumière, plus que le premier (Lacan ou le pas de Freud. Mythe et mathèmes, EME Éditions, 2017) son style de clinicien et de passeur fidèle aux fondamentaux mais aussi sa grande culture, son amour pour les mathématiques, la philosophie, l’histoire des sciences, la religion et la transmission avec toute son exigence de rationalité et de pédagogie. Les échanges autour de mes choix de traduction m’ont fait découvrir également un amoureux et fin connaisseur de la langue arabe et de sa poésie. Élie Doumit avait beaucoup d’humour, il était malicieux et moqueur, voire même parfois agressif face à la médiocrité de la pensée ou le manque de rigueur. Son attention portée aux nouveautés de la sciences et à ce qui se passe dans le monde laissait voir ce désir constant d’apprendre et sa passion pour le débat des idées. Que ses écrits continuent à animer en nous le même désir d’apprendre et la même passion de faire une place au discours analytique comme il le soutenait. Un chaleureux adieu à ce Maître. Qu’il repose en paix.
Elham Chaarani : J’ai peut-être tardé à rendre hommage à mon ami, le professeur Doumit. J’étais sous le choc de sa disparition, et je ne trouvais pas les paroles pour exprimer mon chagrin… Nous venons de perdre un grand homme qui laisse un vide immense derrière lui…Son influence, en philosophie et en psychanalyse, s’est étendue au-delà de son pays d’origine et de son pays d’adoption… et s’étendra au-delà de l’époque que nous vivons… J’ai connu le professeur Doumit il y a des années. Nous étions alors un groupe de professeurs de l’université Libanaise qui travaillait sous sa supervision. Il animait alors des séminaires et des journées d’études auxquels nous assistions avec grand intérêt… Les derniers eurent lieu il y a deux ans environ, avant que la pandémie du Covid 19 ne perturbe tous Nous avons beaucoup appris avec lui. Il était un puits de connaissances. Il nous a apporté tellement de choses sur les fondements de la psychanalyse, son importance et son développement entre Freud et Lacan… Nous avons été très impressionnés par la richesse de ses explications, sa vivacité, et ses jeux de mots savoureux. Il maniait la langue française avec beaucoup d’humour… et je n’oublierai jamais son accent « Nord-Libanais » si particulier, quand il s’adressait à nous en Arabe de temps en temps… Nous étions en pleine traduction en Arabe de son dernier livre, Le Réel en psychanalyse entre épreuve et preuve, quand la nouvelle de sa disparition nous est parvenue… Le professeur Doumit avait supervisé plus de la moitié de ce travail collaboratif avant son soudain départ…Afin d’exaucer son vœu si cher que la traduction de ce livre voit le jour, nous allons honorer sa mémoire et continuer ce travail. Je me permets de réitérer mes condoléances les plus sincères à la famille du professeur Doumit en France, ainsi qu’à sa famille au Liban, dont je partage le chagrin. Il m’est si difficile de lui dire adieu. Professeur Doumit, vous nous manquez !
Gilbert Desmoulins : Monsieur Doumit. Vous étiez le dernier lien vivant de ma vie sociale, du jeune étudiant en philosophie des années post-soixante-huit à aujourd’hui, vous étiez le seul à savoir ma dérive. Vous avez su me permettre de donner un sens à ma séparation, de mettre en perspective les éclats parcellaires de ma dispersion, sans m’enfermer dans les certitudes idéologiques qui semblaient être ma seule perspective de survie pour le pire. Cette longue analyse commencée par ailleurs, interrompue pendant de nombreuses années, vous avez su au-delà de mes défenses et résistances me permettre de la poursuivre jusqu’à un point suffisant pour que ma vie prenne quelque consistance acceptable. Vous avez rouvert l’impasse de l’insatisfaction de mes désirs jusqu’à un point supportable. Vous resterez pour moi cette rencontre centrée sur l’exigence d’une pensée ouverte, vivante aussi peu abstraite qu’il m’en est possible, hors réification, malgré le roc de la castration. Une pensée ouverte, exigeante de sa vérité, et de son Réel, bien que « la vérité soit ce genre d’erreur sans laquelle une espèce déterminée ne saurait vivre. La valeur pour la vie décide en dernier » (Nietzsche). Vous avez su me mener à ce point de solitude sans le sentiment d’abandon qui généralement s’y accole. Votre enseignement a fait le reste. Avec votre départ c’est un monde qui disparaît à jamais, inaccessible et pourtant si présent. Vous resterez le tisserand qui m’a permis de vêtir une survie acceptable. Humain, trop humain Elie Doumit, « Trop humain » Elie. Gilbert Desmoulins, à jamais reconnaissant
Lydia Schenker : Je remercie les collègues de l’ALI Auvergne d’avoir maintenu la soirée prévue avec Elie Doumit en son souvenir…A partir de leur invitation, j’ai voulu également témoigner de ce que fut la rigueur de sa position éthique. Position qui m’avait permis d’entendre, sans le savoir encore, dans les années 80, alors que j’étais jeune interne en psychiatrie à Lille, et sur le divan d’un analyste comme tous mes collègues de l’époque (!) ce qu’il en était de la différence du discours analytique par rapport au discours du maître. J’étais alors loin d’avoir travaillé les séminaires concernant “les quatre discours” lorsque j’allais écouter cet universitaire que nous considérions comme un maître, qui nous dispensait un enseignement très éclairant sur les mathèmes lacaniens avec la rigueur et la précision sans concession qui le caractérisait déjà. Nous étions des élèves avides de savoir et de compréhension, mais il avait l’art de nous “frustrer” de façon surprenante: chaque cours nous laissait en suspens sur des questions toujours “ouvertes” venant creuser un désir que nous n’étions pas capables d’identifier mais qui nous poussait à la réflexion! Voilà ce que j’avais pu saisir, en ne le formulant que dans l’après coup, de ce que pouvait être la singularité d’une transmission analytique au-delà de l’expérience du divan, bien avant d’aborder moi-même la question de la psychanalyse en extension après la psychanalyse en intention, me permettant aujourd’hui d’entendre au mieux l’injonction de Lacan dans son séminaire sur l’identification “Ce sujet supposé savoir, il faut que nous apprenions à nous en passer à tous les moments”! Je suis heureuse d’avoir pu le dire à Elie, bien des années après, à l’occasion de la sortie de son premier ouvrage en 2017, “Lacan ou le pas de Freud”. Je crois aussi devoir préciser qu’à mon sens, ce qui semble avoir été entendu comme une position critique à l’égard “du clinicien” dans la pensée de Doumit n’était pas justifié, et je m’appuierai sur une anecdote personnelle: j’ai commencé la lecture des Écrits de Lacan au cours de ces années de découvertes dans un cartel avec Elie Doumit, et la visée principale de lecture qu’il nous proposait était justement de repérer tous les passages essentiellement cliniques qui pouvaient nous échapper dans ces textes que nous paraissaient essentiellement théoriques. Quel effet de surprise ce fut, pour les jeunes psychiatre dits “cliniciens” que nous étions! À propos des multiples questions ouvertes par son deuxième ouvrage « Le Réel en psychanalyse » nous avons bien sûr évoqué le fameux texte de 74 « LaTroisième » , dont j’avais tenté de faire une lecture « transversale » en 2013 avec mes collègues de l’école de sainte Anne (texte sur le site des mathinées lacaniennes), et que nous aurions voulu discuter avec Élie, non seulement pour l’ouverture d’une écriture du Réel avec la topologie des nœuds et des surfaces, mais pour la dimension éthique de la position de l’analyste avec le statut du symptôme, sa fonction, sa nécessité, voire sa surdétermination comme « ce qui ne cesse pas de s’écrire »… trop peu souvent repéré dans son rapport au Réel et à la vérité de l’inconscient. « Ne pas céder sur le réel du symptôme » écrivait Doumit p 160…Question largement creusée et précisée, avec la distinction du statut du symptôme par rapport au fantasme dans la structure, en particulier par rapport au mode de jouissance du sujet, il énonce clairement à sa façon p 76: “le symptôme est la jouissance qui se présente comme déplaisir ( accointance avec la douleur) alors que le fantasme c’est la jouissance qui se présente comme plaisir, avec tout le cortège de la honte qu’elle secrète…” Plus loin p 77-80 il définit le fantasme par rapport au sujet comme “position du sujet à l’endroit du désir…sa fenêtre sur le réel et l’écran qui le cache en même temps”. Cependant, à propos de la position analytique il évoque: p 153 “La fin de l’analyse comme… l’anticipation lucide de la mort”. Pour conclure avec la précision et le tranchant de la pensée d’Elie Doumit, j’avais retenu une citation de la fin de son ouvrage p 202: “N’oublions pas qu’il s’agit pour Lacan de déterminer la position éthique de l’analyste par rapport au Réel hors sens. Cette position ne relève pas tant, pour un analyste, du fait qu’il ait à déchiffrer son inconscient et son symptôme, mais de sa disposition poétique au Réel de “Lalangue”, laquelle n’est jamais acquise ni donnée.” C’est à partir de ce passage que je lui avais demandé d’intervenir à notre séminaire sur “À quelles apories conduisent nos fins de cures”, mon propos était de l’interroger également sur le rapport de cette “disposition” avec la fin de cure et le désir de l’analyste que nous tentons d’identifier avec différentes écritures du Réel, comme les retournements du tore que je voulais préciser dans les trois identifications à partir du trou qui fait coupure…puisqu’il concluait lui même p 203: “ Pour interpréter, un analyste doit être à moitié “pouète” pour que son interprétation ait quelque chance d’atteindre le symptôme. On voit comment ceci a quelque affinité avec la topologie du tore: quand on pratique un trou dans le tore, on crée un nœud borroméen entre le bord de ce trou et les deux vides intérieur et extérieur du tore.” Très touchée par sa disparition trop brutale, alors que son troisième livre était en chantier, je garderai le souvenir d’un homme discret et chaleureux, sa grande vivacité d’esprit derrière une apparente tranquillité, capable de centrer de façon juste et efficace les enjeux de nos débats sans reculer devant les complexités sans céder à la facilité; une rencontre très importante dans mon trajet analytique… Reste les pistes nombreuses qu’il nous a données pour poursuivre sur le chemin de la psychanalyse.
Jean-Pierre Meaux : Cher Elie Nous nous sommes initialement croisés dans la salle d’attente du cabinet de Charles MELMAN. Puis nous avons appris à nous connaître. Ce fut un suivi régulier de ton séminaire depuis l’année 1986. Dans de successifs lieux ( mais peu importait le lieu ), avec quelques autres : Dominique POISSONNIER, Pierre BASTIN, Jean DELAHOUSSE…La densité et l’éclectisme de tes propos se trouvent colligés dans des notes relevées au cours de toutes ces années. En correspondance à tes écrits qui remplissaient les pages en totalité, avec ajouts et commentaires, traduisant le foisonnement de ta pensée. Tes exposés m’apportaient une ouverture sur la philosophie, en contrepoint de mes attaches du côté de la médecine.Tous ceux qui t’ont écouté peuvent témoigner de tes convictions inébranlables sur certains principes tant en ce qui concerne la théorie que la pratique.Tu as été un précieux soutien dans nos interrogations, avec ton insistance implicite sur une position en continu de questionnement. Avec en filigrane dans l’attitude le souci de préserver un secret qui appartient à la personne, à la condition que ce soit en toute connaissance de cause. La réserve dans le propos se trouvant parfois trahie par la vivacité du regard. Ce qui n’excluait pas quelques apartés sur des accents de vérité, des considérations médicales ou des goûts partagés sur des expressions artistiques au Moyen Orient. Merci, Elie, pour ces révélations et ces relances du pourquoi.
Ahmed Farid Merini : Cher Elie Doumit, Depuis vingt ans, tu as toujours été là, chaque mois et à l’heure pour ton séminaire et pour tes analysants. Ta présence, ta rigueur et la richesse de ton enseignement nous ont fait avancer et grandir au fil du temps. Toi qui es originaire du pays des cèdres où je t’ai rencontré pour la première fois, le Liban cher à ton coeur, ne cessait de t’habiter par ton accent dans ta langue d’exil. Arabophone, tu as été le proche et le lointain, le familier et l’étranger dans le pays du couchant, le Maroc, que tu as appris à connaître, sa langue raisonnant en écho par rapport à la tienne. Cher Elli, Tu as réussi à marquer de ton empreinte l’évolution de la Société Psychanalytique Marocaine. Certes la tâche était ardue, marquée par des moments de violence inhérents à toute fondation, mais que tu as réussi à accompagner en nous invitant à chaque fois à aborder analytiquement la situation, à entendre les remous qui traversaient son parcours au gré des mouvements transférentiels. Cher Elli, Je t’entends encore me murmurer les perspectives de ton enseignement issu de ce que Lacan a pu te transmettre et que je ne trouve meilleure façon de formuler qu’avec des mots de Khalil Gibran dans son ouvrage Le Prophète : « Personne ne peut vous apprendre quoi que ce soit qui ne repose déjà au fond d’un demi-sommeil dans l’aube de votre connaissance. Le maitre qui marche parmi ses disciples, ne donne pas sa sagesse, mais plutôt de sa foi et de sa capacité d’amour. S’il est vraiment sage, il ne vous invite pas à entrer dans la demeure de sa sagesse. Il vous conduit jusqu’au seuil de votre esprit.» Cher Elli, La promenade était ton moment de détente et de découverte. Un jour, en contemplant la hauteur du minaret de la mosquée Hassan deux, à Casablanca, l’un des plus hauts minarets du monde musulman, tu as trébuché en ne faisant pas attention à une marche. Tu t’es fracturé la jambe. L’incident nous a inquiétés mais n’a pas manqué de nous faire sourire quand nous en parlions plus tard. Cher Elli, Aujourd’hui que tu nous a quittés, même si tes séminaires étaient devenus espacés, et ton absence depuis plus d’une année en raison de la covid 19 était longue, le fil que nous avions tissé ensemble ne perd pas de sa dimension transférentielle. Elle se traduit dans le travail de la SPM et dans une transmission que nous ne cessons de questionner et de réinventer. Cher Elli, Excuse-moi d’avoir supprimé le (e) de ton prénom pour te faire vivre encore un peu parmi-nous et rajouter (l) comme une aile pour mieux t’aider à t’envoler. Elli en amazigh veut dire « monter haut, voler ». Repose en paix.
Nadia Jamaï : M. Doumit a considérablement œuvré pour la psychanalyse au Maroc. Il a accompagné la Société Psychanalytique Marocaine pendant 20 ans et il a joué un rôle essentiel dans la formation d’un certain nombre d’entre nous. Jusqu’en 2018, il a régulièrement et inlassablement pris l’avion depuis la France pour venir dispenser son enseignement aux membres de notre Société, tenant son séminaire tantôt à Rabat, tantôt à Casablanca et n’hésitant pas à prendre le train pour se déplacer entre les deux villes. Dans le même temps plusieurs d’entre nous ont fait leur analyse avec lui. Il a accompagné nos questionnements, pris part à nos tables rondes et n’a pas craint de partager à l’occasion nos repas. Il a participé non seulement à nos colloques mais aussi aux fêtes qui clôturaient ces colloques et il savait se montrer chaleureux tout en maintenant dans l’établissement de cette proximité la distance nécessaire, le respect de l’éthique et le souci de rigueur sans lesquels aucun véritable travail analytique ne peut avoir lieu. Il a survécu aux charges agressives générées par nos conflits institutionnels et a toujours veillé à encourager avant tout leur analyse. Il s’est risqué à assumer son désir en venant, lui, au devant de ses analysants au lieu de l’inverse habituel et il a du se confronter, en plus, à la situation difficile de devoir passer tour à tour de la place du maitre à la place de l’analyste. Un défi qu’il relevait en s’efforçant de faire prévaloir autant que possible celle-ci dans l’exercice même de celle-là. La situation atypique où nous nous trouvions tant de notre côté que du sien forçait à un réaménagement du cadre qui nous éloignait nécessairement d’une application à la lettre de la règle et qui nous obligeait à modifier la forme, sans rien céder pour autant sur le fond. Cette réinvention du cadre rendue nécessaire par la réalité même de la situation, a certes soulevé des difficultés et n’a pas manqué de provoquer des critiques parfois acerbes de la part des tenants d’une pratique plus strictement orthodoxe, mais elle s’est révélée en définitive très fructueuse du fait même de l’ébranlement des idéaux qu’elle a dès le départ suscité et du fait de la grande leçon de liberté qu’à travers elle, dès le départ, Élie Doumit nous a donnée. Nous avons pu faire à son contact l’expérience vivante de la différence essentielle mais subtile qui existe entre la loi et l’esprit de la loi, entre une adhésion rigide et mortifiante aux concepts de la psychanalyse et la nécessité de rompre avec ce qu’il y a d’incestueux dans une telle adhésion pour s’en distancer, tout en respectant l’éthique qui les sous-tend, afin de se les approprier et de laisser la place au désir dans l’acte même de leur interprétation. Cela a constitué un creuset propice à l’élaboration d’une réflexion riche et féconde au sein de la SPM autour de la transmission, autour du transfert, autour de l’éthique et du désir de l’analyste ainsi qu’autour du caractère nécessairement subversif et fondamentalement créatif de l’acte analytique. Par sa pratique nourrie d’une longue et solide expérience, par la richesse et la qualité de son enseignement, par la nature chaleureuse de son contact et par son style particulier qui savait allier l’érudition à l’humilité, qui savait conjuguer la rigueur et le respect de l’éthique avec la liberté et la détermination dans la réinvention des moyens, Élie Doumit a été pour nous au Maroc un passeur vivifiant et vivificateur de la psychanalyse. Au-delà de ce qu’il a apporté d’inestimable à mon cheminement personnel et de ce qu’il continuera d’y apporter dans l’après-coup ( Il disait :« c’est un non-sens de parler de liquidation du transfert, un transfert ne se liquide pas mais se transforme en transfert de travail »), je peux dire que par son oeuvre, par son action, par la qualité de sa présence auprès de nous et par l’usage qu’il faisait de la psychanalyse , il a su personnifier en la portant haut et fort la formule lacanienne selon laquelle « le nom du père on peut s’en passer…. à condition de s’en servir ». Merci infiniment M. Doumit, vous n’êtes plus là mais la transmission continue….. Mes profondes condoléances à ses nombreux élèves ainsi qu’à sa famille et à ses proches, avec une pensée particulière pour Odile sa fidèle compagne.
Mohamed JamaÏ : J’ai eu le privilège de vous rencontrer pour la première fois fin 2001 à l’occasion de votre venue au Maroc pour animer une conférence sur « l’actualité du symbolisme » et pour rencontrer les futurs membres fondateurs de la Société Psychanalytique Marocaine. Et depuis vous m’avez accompagné durant deux décennies dans ma formation théorique et dans mon travail personnel. Grâce à votre simplicité, à votre humanisme, à votre érudition, à votre proximité et à votre rigueur, j’ai profondément changé ma manière d’envisager et de pratiquer mon métier de psychiatre, en prenant plus de distance avec la théorie psychiatrique actuellement dominante et soi-disant universelle (DSM) et en privilégiant l’écoute du patient dans sa subjectivité ainsi qu’ en respectant son symptôme, dans une attitude de modestie et d’humilité loin de la prétention de toute-puissance du médecin supposé tout savoir et tout guérir. Grâce à votre enseignement, j’ai pu également dépasser mes appréhensions et mes défenses vis-à-vis de la psychanalyse qui me semblait, à tort, une démarche aliénante, alors qu’au contraire elle est une ouverture vers la liberté d’être, de penser et de désirer. Philosophe et surtout logicien, aucune théorie n’échappait à votre analyse et vos séminaires étaient un lieu de travail, de réflexion et d’échange, où chacun d’entre nous avait la liberté d’exprimer ses idées et ses critiques à partir de son vécu et de sa pratique clinique. Vous ne cessiez de mettre en exergue « les perroquets qui répétaient les célèbres textes psychanalytiques et les références pompeuses ». Bien sûr, la théorie psychanalytique était essentielle à connaitre mais restait insuffisante pour la pratique de notre métier : « il fallait y mettre du sien ». Vous avez respecté le choix de notre association (SPM) de rester autonome et indépendante, sans affiliation aux grandes « chapelles ». Et vous nous avez soutenus et encouragés à « ré-inventer la psychanalyse au Maroc », en mettant les concepts psychanalytiques à l’épreuve de notre singularité historique, sociale et culturelle. Enfin, à votre contact, j’ai compris que la notion de neutralité était d’abord « bienveillante », c’est-àdire qu’entre autre, les règles du lieu et de la « distanciation » avaient surtout une valeur symbolique et que le psychanalyste était également un être social, « fréquentable » sans danger pour l’analysant, du moment que l’éthique était respectée. Je pourrais continuer à citer tout ce que votre enseignement m’a apporté mais l’image que je garderai de vous en permanence est celle d’un psychanalyste infatigable, entièrement voué à son métier, animé d’un désir inépuisable de transmettre son art à travers le monde. Merci pour tout ce que vous m’avez appris, vous resterez toujours présent parmi nous au Maroc, entouré de vos amis et de vos élèves. Puissions-nous continuer sur vos traces le travail de transmission que vous avez initié.
Fedoua Nasr : Merci monsieur, mon bon monsieur, qui ne me ménageait guère en analyse, pour m’avoir menée – entre autres- à vivre sans dégâts mes peines. Justement ‘vivre ’mes peines et non en mourir. Et votre décès m’en cause une si profonde et qui, je pressens, sera bien longue. Il me fait aussi éprouver un étonnant souffle vital. Il faut dire qu’en arabe la langue ne fait que glisser entre ‘nafas’ (souffle) et ‘nafs’ (psyché). Les divers hommages qui vous sont rendus et que j’ai lus jusqu’à présent – et où je me reconnais- témoignent d’une honnêteté, intégrité, générosité, rigueur, ingéniosité … qui étaient aussi des traits de votre personne. Pour avoir été une de ses analysantes du Maroc, Rabat précisément, je tiens à noter ceci : monsieur Doumit s’était déplacé mensuellement et pas pour moins de quinze ans, dans un premier temps, pour diriger des analyses et assurer des supervisions ainsi qu’un enseignement. Une fois, sa jambe avait été grièvement cassée à Casablanca et il a dû retourner en urgence à Lille pour se faire opérer. Une autre, son avion –comme tous les autres- était resté cloué au sol à l’aéroport de Rabat-Salé pour une journée entière (à cause de la fumée du fameux volcan d’un pays nordique). Jamais n’a-t-il manifesté quelque irritation ou essoufflement. J’ai eu la chance et le loisir de rencontrer un homme mû par une même éthique (qu’il m’avait dit à ne pas confondre avec la morale) que ce soit en séances et séminaires ou quand il m’arrivait de faire le guide à Rabat ou pour des librairies, ou d’où acheter de délicieuses dattes du Maroc ou …, etc. Puissions-nous chacun de sa place honorer l’enseignement de cet homme. د ح ا و ا ن ؤ ا ز ع w x فقد هذا الرجل ابن اصل. y فودى ن
Soukaïna Jamaï : Merci Mr Doumit, Vous n’êtes plus là, et pourtant si présent parmi nous, sous le petit arbre SPM que vous nous avez aidés à planter, à nourrir avec votre enseignement, vos séminaires et le don de vos connaissances. La transmission a été faite. A nous, SPM, de la continuer. Je retiens deux phrases que vous nous avez souvent répété : – « Écoutez et soyez une oreille qui entende ». – « Le but de la psychanalyse est le bien dire, non le bien-être ». Soyez en paix.
Assia Akesbi Msefer : J’ai appris avec une grande tristesse le décès du professeur Élie Doumit, psychanalyste libanais, que j’ ai eu la chance de connaître au Maroc à l’occasion de la constitution de la Société Psychanalytique Marocaine. Élie Doumit nous a accompagné nous autres, les membres fondateurs de l’ association, présidée à l époque par Jalil Bennani, à la fois par les séminaires qu’il animait, axés sur les enseignements Lacaniens, au rythme d’un séminaire par mois et aussi par son accompagnement clinique. J’ai profité de ses enseignements et de son transfert de psychanalyste talentueux, discret mais aussi ferme. Je n’ai saisis l’intérêt de ses interventions que longtemps après les séances. Ainsi une fois il me dit : « Vous avez préféré le veau d’or », ce qui m’ amené à chercher le signifiant. J’en sortais souvent frustrée de la séparation d’autant plus que la durée était courte. Nous étions une dizaine de professionnels à attendre chacun son tour. J’ ai trouvé avec mon psychanalyste à l’époque un transfert qui m a permis de faire deuil après le décès de ma mère . J’ai pu également rencontrer M Doumit très régulièrement aux séminaires de L’ALI, Association Lacanienne de Psychanalyse, aux séminaires d’hiver et d’été, et j’’appréciais ses interventions rares mais percutantes. Élie Doumit était bref, discret et précis. Nous nous sommes rencontrés pour la dernière fois à Lisbonne au séminaire d’été. Mon psy et professeur m’a dédicacé son livre publié en 2017 « Lacan ou le pas de Freud « aux éditions L’Harmattan. M. Doumit avait également écrit « Le réel en Psychanalyse, entre épreuves et preuves » que je n’ai pas encore lu. Je regrette la disparition précoce de mon maitre. Ses enseignements le prolongent en chaque enseignant, parent et analyste avant de le rejoindre dans la grande immensité du monde, comme disait mon autre professeur feu Mostapha Safouane.
Saloua Hamdani : J’ai appris avec tristesse la nouvelle du décès de Mr Doumit. Je présente mes sincères condoléances à sa famille et à ses proches. Mr Doumit nous a tant apporté, il nous manquera. Lui qui était un fidèle disciple de Lacan a pu nous transmettre, à nous ses élèves marocains, des concepts précieux qui guident notre pratique quotidienne. Mr Doumit nous a légué une pensée et un enseignement auquel nous tâcherons de rester fidèles. Qu’il repose en paix.
Souad Hamdani : C’est avec affliction que j’ai appris la disparition du regretté Monsieur Doumit. A l’instar de nombre de mes collègues psychanalystes marocains, je garderai en mémoire cette figure de la psychanalyse lacanienne dont j’ai eu le privilège de suivre l’enseignement. Monsieur Doumit nous a laissé un héritage que nous nous devons de transmettre à notre tour, en espérant être à la hauteur de son legs Qu’il repose en paix.
Abdellah Ouardini : M. Élie DOUMIT, Vous nous avez quittés discrètement le lundi 29 mars 2021 comme vous l’aviez toujours été. Vous avez débarqué, il y a une vingtaine d’année, dans le paysage psychanalytique marocain en pleine ébullition. Invité par la Société Psychanalytique Marocaine qui cherchait un analyste « formateur » sur les conseils de Moustapha SAFOUANE – un grand nom de la psychanalyse ami du Maroc et le votre, qui nous a quitté en automne quelques mois avant votre départ- vous êtes devenu son ange gardien, témoin malgré vous des soubresauts qui menaçaient sa jeune assise .Vous avez accepté le pari intenable d’être au même temps le psychanalyste de la « horde primitive » et d’animer un séminaire mensuel jusqu’en 2018. Bien sûr cette position inconfortable vous a valu beaucoup de critiques auxquelles vous avez répondu analytiquement dans le respect de l’éthique et de la spécificité de la SPM. Votre rigueur, votre savoir , votre générosité et votre sympathie sans jamais céder sur le sérieux de la psychanalyse vous ont permis de gagner votre pari et d’accompagner la SPM vers sa maturité. Une amitié sincère et sereine nous a liés au delà des questions qui traversaient la SPM. D’abord notre affection pour la ville de Lille où vous aviez fondé en 1997 l’École Psychanalytique du Nord, devenue École Psychanalytique des Hauts de France-membre de l’ALI et où j’ai passé 10 ans pour ma formation en psychiatrie et pédopsychiatrie (1984-1994). Mais surtout l’intérêt que vous portiez à la dimension imaginaire dans l’oeuvre de Lacan en rappelant dans votre séminaire du 15 décembre 2007 comment il a évolué par rapport à sa première position dans laquelle « le symbolique doit venir à bout de l’imaginaire » – conception négative et péjorative d’un imaginaire synonyme de : faux, illusion, irréel, leurre et associé aux mirages narcissiques- pour devenir l’espace imaginaire lieu de liberté et de créativité. Cette évolution dans la théorie lacanienne fut, en partie, possible grâce à l’intérêt qu’il portait aux apports très novateurs de Mélanie Klein « l’aruspice aux yeux d’enfants, la tripière inspirée » qui en examinant les fantasmes « dans les entrailles de la mère nourricière » les suppose ensuite à « l’enfant aux noirs instincts ». C’est par ces mots forts mais non dénués d’admiration que Lacan parle de M Klein dans « Jeunesse de Gide » et d’expliquer comment elle a réussi à greffer un semblant de fantasme à Dick qu’il a appelé « petite cellule palpitante de symbolique » dans son tout premier séminaire : Les écrits techniques de Freud. Ainsi, vous m’aviez réservé en marge de vos séminaires et de vos conférences, comme vous l’aviez fait pour d’autres collègues, des petits moments d’échanges concernant ma pratique avec les enfants autistes à partir de votre regard lacanien pertinent et très enrichissant que vous articuliez avec aisance aux autres cliniques psychanalytiques de l’enfant. Votre passage parmi nous, restera celui de A’bir sabi(l ا عبرس بیل ) celui qui ne fait que passer, l’étranger. Ce terme signifie aussi dans le Lissane al arabe traverser le rêve ou traverser le livre. Dans cette perspective, le rêve ou le livre représentent l’ouverture d’une porte qui permet de franchir le seuil d’un univers étranger dont il faut déchiffrer les signes. C’est cette position de عابرس بلی que j’aimerai garder de votre legs à la SPM. Merci infiniment M. Élie DOUMIT.