La notion d’état limite est devenue un fourre-tout nosographique ; chaque auteur y va de sa définition en fonction de la population qu’il reçoit, dans le lieu où il exerce et au regard de la catégorie des patients qui viennent à lui.
Le tout finissant par correspondre à un ensemble hétéroclite regroupant des caractéristiques et des pathologies diverses.
Le DSM en a recherché le plus petit dénominateur commun, ce qui a abouti au mariage de la carpe et du lapin.
Nous ne pouvons nous contenter de critères descriptifs ; l’attention du clinicien doit porter sur la recherche d’un ordonnancement structural ; il est nécessaire de repérer quelques invariants essentiels déterminant le sujet dans ses motivations et conduites.
Le concept d’EL (état-limite ) évoque tantôt un état intermédiaire entre névrose et psychose, tantôt une organisation particulière de la personnalité ayant une spécificité nosographique.
Dire qu’un patient appartient à la catégorie des EL vient souvent à l’esprit du praticien ; or il apparaît que ce diagnostic est prononcé pour des cas cliniques présentant une manifeste disparité.
Nous sommes alors légitimement interrogés quant à ce qui peut être fondamental dans la délimitation d’un tel état.
Parler de délimitation constitue une gageure puisque ce que présente la clinique pose la question de la limite tant en ce qui concerne ce qui la définit que ce qui constitue son champ d’extension.
Pour le sujet en EL se pose la question d’où il vient , mais de façon plus critique parce que plus incertaine de savoir où il va ; c’est moins la source de la pulsion qui pose problème que son but et sa visée.
Est-il possible de définir topologiquement ces organisations ?
BREF RAPPEL HISTORIQUE
Au sujet de l’EL Bergeret parle de tronc commun, de situation toujours aménagée mais non fixée, d’effort du Moi pour se maintenir en dehors des deux grandes structures dont l’une s’est trouvée dépassée et l’autre n’a pu être atteinte quant à l’évolution tant pulsionnelle qu’adaptative du Moi.
Pour Bergeret l’EL n’est pas une structure mais une organisation narcissique anti-dépressive. Il décrit cependant une évolution psychogénétique spécifique à l’égal de celle de la névrose et de la psychose avec pour ligne de division l’analité.
Alors que pour Bergeret il y a répression des affects, je considère qu’il y a plutôt manque d’élaboration des affects, ce qui va de pair avec un manque d’intrication des pulsions agressives et libidinales.
La violence fondamentale telle que décrite par Bergeret est un concept limite, puisqu’elle est sans limite ( à l’oeuvre dans les phobies d’impulsion ou le déchaînement pulsionnel chez certains toxicomanes ).
La pensée d’Otto Kernberg permet de saisir dans sa constitution la notion d’EL ; j’en cite pour preuve la constante attention qu’il porte au contre-transfert.
- Kernberg parle d’organisation limite et décrit dans ce cadre syndromique différentes personnalités : infantile, narcissique, comme si, dépressive ou de tendance masochiste.
Il évoque le manque de tolérance à l’angoisse de ces sujets, leur manque de contrôle pulsionnel, leur manque de développement des voies de sublimation.
A l’origine il situe un retour aux processus primaires de pensée.
Il parle d’estompage des frontières du Moi dans le domaine de la différenciation entre le Soi et le Non-Soi en rapport avec une fixation à des processus de clivage.
Il décrit des mécanismes d’idéalisation primitive, d’identification projective et de déni qu’il relève étant prévalents.
Philippe Jeammet indique une insécurité fondamentale source d’angoisse dans une société qui se caractérise par un flottement généralisé des décisions.
Au nom de quoi imposer à un jeune qui ne sait pas ce qu’il veut ?
Face à l’insécurité : l’agrippement. Pas de satisfaction privilégiée : seule perdure l’emprise. Entre angoisse d’abandon et angoisse de fusion intrusive.
Ces considérations ont l’avantage de remettre en scène la pulsionnalité.
Pour René Rousillon la psyché à une fonction limite ; ce sont les processus de symbolisation ( identité de pensée et non de perception ) qui endiguent les flux psychiques, à la faveur de la mise en place de l’instauration des processus surmoiiques : non tout, non tout de suite, non tout seul, non tout ensemble, non tout en un.
Jean-Jacques Rassial considère que l’EL n’est pas une structure spécifique mais un état de la structure. Il se réfère à un quatrième rond décrit par Jacques Lacan au sujet du nouage borroméen : celui du sinthome, en construction permanente, suivant la voie des clivages là où les symptômes suivent la voie des conflits.
ETAT INTERMEDIAIRE ENTRE NEVROSE ET PSYCHOSE ?
L’une des définitions premières de l’EL correspondait à des tableaux cliniques à la limite de la névrose et de la psychose. Dans cette acception l’EL est situé entre psychose et névrose, la perversion narcissique entre perversion et psychose, beaucoup de cas cliniques actuels entre névrose et perversion .
Au sujet d’un tronc commun aménagé entre névrose et psychose , Bergeret indique que , sous l’effet d’un premier désorganisateur de son évolution psychique , le sujet se trouve plongé dans une pseudo-latence . A partir du moment où il définit l’EL comme étant une altération du narcissisme, il le situe de façon structurale entre névrose et psychose. Il évoque une relation d’objet anaclitique qui paraît correspondre plutôt à une configuration clinique de psychose symbiotique de Mahler avec une gradation dans le degré d’attachement corrélative de l’histoire du sujet. Pour Bergeret , O. Kernberg range les border-line du côté des pré-psychoses.
Que ce soit dans la névrose ou la psychose, le Même est à l’oeuvre :
– processus de répétition, prévalence du fantasme, rôle central du désir, caractère apparent des mécanismes de défense dans la névrose
– répétition à l’identique des fixations, refuge assigné dans l’Un, reproduction obligée des modèles dans la psychose.
L’EL échappe à cette attraction du Même , à cette entropie du centripète ; son devenir est soumis à sa quête plus en avant de ce qui peut l’orienter.
CONSIDERATIONS GENERALES
Envisager des états intermédiaires entre névrose et psychose pèche souvent par un manque de détermination dans l’évaluation structurale de ce qui spécifie une configuration clinique.L’EL est à la recherche d’un contenant, ou plutôt des limites qui pourraient le cerner.
Pour le névrotique le problème ne se pose pas ; c’est à l’intérieur de ce contenant que se pose pour lui la question de son manque . Pour le psychotique l’Autre tient parfaitement ce rôle ; il fixe les règles sans contestation possible . Pour l’EL les jeux ne sont pas faits : le flou des identifications détermine l’instabilité des conduites.
Le trouble de l’identité peut résulter de l’indifférenciation des imagos parentales. Le fait que le statut du sujet ne soit pas figé comme dans la névrose et la psychose n’implique pas qu’il n’ait pas un fondement structural. Quand l’instabilité dure des décennies, l’installation de la problématique n’a-t-elle pas valeur d’organisation structurale ?
L’EL a historiquement succédé au déséquilibre psychique : parcours de vie chaotique, juxtaposition de moments vécus sans continuité apparente, mouvement de fuite éperdue. La fuite caractérise également le phobique ; lui s’arrête sur un objet phobogène et, le repérant, s’assigne à une place déterminée ; ce qui diminue son effroi.
Le sujet en EL partage avec le phobique l’importance accordée aux références spatiales. À l’origine : l’angoisse et l’angoisse est par essence sans limite.
Certains auteurs évoquent l’incapacité du sujet en EL à élaborer la position dépressive ; d’autres considèrent qu’il n’y a pas eu accès ; il apparaît que souvent il manifeste une incapacité à élaborer un manque.
Dans l’EL prévaut le rôle central de la pulsion. L’absence de référence phallique laisse la porte ouverte aux développements phobiques. La phobie d’impulsion est fuite devant la pulsion en la matérialisant. La facilité du passage à l’acte opère dans les conduites psychopathiques , certaines addictions et certains cas de boulimie , la pulsion de mort dans des cas graves d’anorexie et de toxicomanie.
CARACTERISTIQUES DESCRIPTIVES
L’EL est souvent défini en référence à une organisation psychodynamique hiérarchisée, laissant supposer que la maturité n’a pu être atteinte par suite de manques dans sa constitution, laissant le sujet confiné à un stade inférieur.
La figure maternelle est appelée au banc des accusés à titre d’imago défaillante ou destructrice.
Il ne s’agit pas de nier le rôle de facteurs traumatogènes incidents mais leur attribuer la seule responsabilité revient à formuler des interprétations sauvages telles que les théories de l’attachement les ont décrites, avec le caractère limitatif de leurs explications.
Ce qui caractérise l’EL : l’éphémère : instabilité relationnelle et affective, impulsivité, imprévisibilité des comportements, angoisse face à l’agression ou l’abandon.
L’intolérance à la frustration peut correspondre , mais ne correspond pas forcément , à une fragilité narcissique : elle peut résulter dans le cas de l’EL à une réaction face aux exigences pulsionnelles.
Au départ l’acte et le corps : l’EL se trouve soumis à une sensation de vide qui correspond à un manque de structuration et un trop-plein pulsionnel. Il est en recherche d’une symbolisation de l’épreuve de manque ; le jeu de la présence-absence de l’Autre n’a pas été intégré.
Certains invariants peuvent être relevés : rôle prévalant de la rupture et attaque des liens , manque d’organisation autour d’un vide fondamental et impossible agencement des éléments structuraux dans le temps.
EL ET TEMPORALITE
L’EL vit dans le tout tout de suite ; la durée est rétrécie à l’extrême ; seul compte le temps présent.
Il y a abolition de la limite temporelle, ou plutôt de la scansion dans la durée ; les événements intercurrents et les situations vécues ne sont pas inscrites dans un temps organisé.
Le temps est ramassé dans l’instant présent : point ultime initial avant l’éclatement et l’expansion sans limite.
Dans l’aspect le plus épuré de la structure il n’y a pas de signifiant repérable, comme s’il avait été pulvérisé sous l’effet de la pulsion.
EL ET TRAUMATISME
Le traumatisme est ce qui fait irruption dans l’environnement, le vécu d’un sujet et perturbe son économie psychique.
Le descriptif de ses multiples facettes a envahi le champ des mises en cause à l’origine de tout éprouvé, conduite ou comportement au détriment de l’élucidation des développements structuraux.
L’histoire de la psychanalyse est émaillée des avatars des multiples conceptions du traumatisme.
Qu’un traumatisme inaugural soit évoqué par le patient où qu’il soit explicitement ou implicitement recherché par le thérapeute, il faut surtout prendre en compte le statut métapsychologique du sujet qu’il atteint et à quel moment évolutif il se manifeste.
« Le récit que le sujet en EL peut faire de sa vie est celui d’une succession de traumas non élaborés, c’est-à-dire qui insiste comme corps de réel dans l’imaginaire de n’être pas réduits à de l’événement symbolisable » (1).
QUELLES PULSIONS ?
La lecture de la problématique de l’EL oscille toujours entre deux catégories d’abord : par l’étude de la relation d’objet ou par celle du primat pulsionnel.
- Kernberg a proposé le fait que chez les patients limites existe un développement excessif de l’agressivité prégénitale et surtout orale.
- Green a particulièrement développé le déchaînement pulsionnel qui caractérise l’EL. Il indique dans le Discours Vivant que « la pulsion est la mesure de la demande de travail faite au psychisme par suite de son lien au corporel » (p 204 ) ; il évoque » la décharge de douleur dans l’impulsivité « ( p 40 ) , « la difficile mise en place d’une organisation signifiante » ( p 64 ) . Il fait remarquer que les pulsions agressives conduisent à l’angoisse si elles sont intriquées, à l’autodestruction si elles ne le sont pas, que les pulsions de mort déterminent une désintrication des composantes agressives et libidinales : il en résulte une destruction de l’objet fantasmatique pour éviter d’en dépendre, de se trouver soumis à son emprise. En conséquence » lorsqu’ils sont en liaison avec des pulsions destructrices pures, non intriquées, les affect de type agressif échappent à l’angoisse , qui n’agit que sur des pulsions intriquées ; parfois les tendances autodestructrices restent les seules possibilités défensives contre l’expression des pulsions agressives » ( p 134).
Il est possible de retrouver là l’expression d’un masochisme primaire ( Freud ), d’une violence fondamentale ( Bergeret ) , d’un masochisme originaire ( Green ) ; avec la manifestation d’une pulsion d’autodestruction à l’état pur, différente d’un désir de néantisation.
Bergeret postule que » les éléments premiers qui sont mis en état opératoire sont des éléments violents et ne sont pas des éléments sexuels. La violence fondamentale ne correspond ni à l’agressivité, ni à la haine. Une érotisation est nécessaire pour parvenir à la haine. La violence fondamentale et une réaction de défense ; c’est l’impression que, quand un être vient au monde, il n’y a pas de place pour deux au soleil » ( 2 ).
A.Green fait remarquer que « pour Freud le principe de Nirvana serait au service des
pulsions de mort , tandis que le principe de plaisir serait au service de la libido ( p 75 ) ; le principe de Nirvana soumis aux pulsions de destruction implique une tendance à la déliaison ; le principe de plaisir ( puis le principe de réalité ) implique une tendance à la liaison ; il assimile le principe de Nirvana au narcissisme primaire absolu
JJ.Rassial ajoute que » ce qui se manifeste de régressif dans la conduite de l’EL est
secondaire à l’émergence d’une agressivité primaire et non l’inverse » ( 4 ).
En tout état de cause ces pulsions désintriquées restent en quête de représentants, par défaut d’arrimage du fait de la défaillance de l’Imaginaire et du Symbolique.
OSCILLATIONS ETIOPATHOGENIQUES ENTRE PULSIONS ET OBJET
Les théories explicatives à propos de l’EL balancent entre mettre l’accent sur l’objet ou la pulsion : » cet être mythique , superbe et indéfini , à la mesure de la demande de travail faite au psychisme par suite de son lien avec le corporel « ( 5 ) ; A. Green dans la Folie Privée évoque ces oscillations entre théories explicatives par rapport à la pulsion ou l’objet ( p 113 ).
Pour Coentro : « l’échec de l’intégration des images de soi et de celles de l’objet libidinalement et agressivement investies est la cause majeure des troubles du Moi état-limite. Ce défaut d’intégration tire son origine de la prédominance pathologique des images de soi et d’objet agressivement investies » ; il ajoute que : » l’objet transitionnel de Winnicott donne l’illusion de préserver le sujet des dangers extérieurs » ( 6 ).
En fonction du contexte situationnel, l’accent peut se trouver mis sur les caractéristiques de la relation d’objet ou sur les avatars pulsionnels . Le vécu de vide – relation anaclitique ou manque de distinction Soi-Objet dans le premier cas, débordements agressifs et passage à l’acte dans de multiples registres dans le second. Dans les deux cas : troubles de l’identité ( syndrome de l’identité diffuse d’O. Kernberg ) et propension aux réactions dépressives en sont la conséquence.
PERTE ET INTRUSION
En corrélation avec le débordement pulsionnel qui le caractérise, l’EL met en scène des fantasmes archaiques de perte et d’intrusion.
À l’origine le fort-da permet la constitution de la relation d’objet ; avec cette particularité pour l’EL que » tout se passe comme si le statut de l’objet interne était dans ce cas constamment menacé, perpétuellement voué à la disparition » ( 7 ).
À propos de l’utilité du concept d’absence, A. Green indique que » l’absence ne comporte ni perte ni mort. L’absence est un état intermédiaire à mi-chemin entre la présence et la perte. Un excès de présence et c’est l’intrusion , un excès d’absence et c’est la perte » ( 8 ).
La pulsion exerce de façon continue sa pression sur une économie psychique en perpétuel déséquilibre : » Il semble qu’une excitation permanente , qu’elle soit due à un affect inconscient d’intrusion ou d’abandon , taraude le Moi en permanence » ( 9 ).
Dans l’intrusion le dehors pénètre le dedans, dans la perte le dedans s’échappe à l’extérieur . PourA. Green le mécanisme de projection initie le concept de limite ; il apparaît possible d’y ajouter que c’est l’organisations de la conflictualité qui produit cette limite.
EL ET PHOBIE
« La confusion entre névrose phobique et état limite ou entre névrose phobique et névrose traumatique ou névrose actuelle incluant des phobies est fréquente en clinique psychanalytique » ( 10 ).
Il convient de distinguer névrose phobique et structure phobique, la distinction portant sur la place de la castration, celle de la problématique phallique et du registre de l’Imaginaire.
Dans le noeud phobique »nous avons le sentiment que l’opération de la castration s’exerce dans le registre de l’Imaginaire alors que dans le noeud dit normal la dimension de la castration est habituellement masquée par l’Imaginaire » ( 11 ).
À l’angoisse phobique dans l’Imaginaire qui fait consistance s’ajoute dans l’EL la menace d’un évidage anéantissant . « Le sujet en EL se présente envahi d’affects contradictoires qui le paralysent non seulement dans ses actes, comme le phobique, mais dans son être même » ( 12 ). Dans l’EL la dimension du Réel de la pulsion dans son développement infini appelle d’autres mécanismes de défense pour la cerner.
EL ET MECANISMES DE DEFENSES
Idéalisation, identification projective, déni, omnipotence, dévalorisation d’autrui sont secondaires au clivage . Le déni et l’idéalisation ne caractérisent pas l’EL.
Pour O. Kernberg » le clivage se maintient comme mécanisme essentiel pour préserver la diffusion de l’angoisse dans le Moi et protéger les introjections et identifications projectives » ( 13 ). Il indique également que la manifestation la plus commune du clivage est probablement la division des objets externes en certains totalement bons et d’autres totalement mauvais , avec pour conséquence la possibilité pour un de ces objets d’un passage complet et brutal de l’un à l’autre des extrêmes.
A.Green considère que « le clivage, instaurant une limite, permet la communication à partir des affects et des processus de pensée verbalement incommunicables ». Il pose la question : clivage : mécanisme de la pulsion de mort ou mécanisme de défense ? ( 14 ) « A l’intérieur du champ psychique deux paramètres définissent des mécanismes fondamentaux : le clivage et le désinvestissement qui sont à la base de l’identification projective et de la dépression primaire » (15 ).
Il y a nécessité d’expulser l’objet mauvais. La pulsion est vouée à la projection . A. Green parle d’excorporation . La projection permet d’expulser à l’extérieur la représentation indésirable . « La pulsion est vouée à la projection ; en se liant pour atteindre l’objet apte à satisfaire son but, elle va effectuer une sortie vers l’objet et va tracer à la motion un parcours qui la mène à celui-ci, atteignant par là même son objectif » (16 ).
Au clivage et à la projection s’ajoute la forclusion qui les complète.Pour JJ. Rassial « la forclusion est une opération d’abolition ; elle ne porte pas électivement sur le Nom du Père mais sur n’importe quel signifiant virtuel qui dès lors pourra faire retour dans le Réel » ( 17 ). Acceptant l’aliénation imaginaire du sujet au Moi, le sujet en EL rejette – c’est bien de forclusion qu’il s’agit – l’autre résultat qui est la séparation de l’Autre et l’aliénation symbolique qui donne sa place à la fonction paternelle, c’est-à-dire les premiers engagements dans la socialisation « ( 18 ).
Le clivage, mécanisme essentiel est-il subi ou agi et provoqué ? Il semble bien que le clivage est un mécanisme actif alors que la forclusion est subie.
EL ET NARCISSISME
Bergeret considère que « pour lutter contre la perte de l’objet et la menace dépressive le Moi se déforme, sans éclater ni se morceler mais en se clivant sur un secteur adaptatif et un secteur anaclitique » ( 19 ). Il pose la question : « les limites de cette distinction nosographique entre les pathologies narcissique et limite ne tiennent-elles pas en fait au limites de l’autonomie du narcissisme d’un point de vue métapsychologique ? « ( 20 ) « En proclamant n’avoir besoin de personne – à l’opposé exact des sujets en fonctionnement limite , qui affirment s’écrouler si l’autre, l’appui au dehors, vient à manquer – les personnalités narcissiques vivent en autarcie, sous le règne de l’autosuffisance et refusent ou rejettent le monde externe, en temps qu’il offre des figurations d’objet » ( 21 ).
La mise à la question du narcissisme ne peut être éludée dans l’exploration des EL : non pas le narcissisme élaboré tel qu’il figure dans ses modalités de représentation dans une structure narcissique, mais tel que carent en sa constitution.
- Rassial évoque à propos des EL un clivage entre Moi Idéal et Idéal du Moi.
Pour O. Flounoy : » le défaut se situerait au niveau du Moi Idéal ; leur crainte réside dans le fait que l’ouverture sur le Moi Idéal ne débouche sur rien , que sur du vide » (22).
De fait, des clivages élémentaires, de par leur incapacité à opérer, laissent en jachère de structuration des agencements archaïques avec les expressions pulsionnelles en risque d’éparpillement qui les caractérisent.
EL ET REPRESENTATION
La question de la représentation est indissociable de celle des limites.
- Kernberg incrimine un Moi Idéal sans limite . « La constante projection des images de soi et d’objets » totalement mauvais » perpétue un monde d’objets dangereux et menaçants contre lequel, pour se défendre, le patient utilise des images de soi « totalement bonnes » et élabore des images d’un soi-idéal mégalomaniaque » ( 23 ).
En deçà de ce que constitue la mise en opération du langage, représentations et affects restent sans ancrage. » Le langage relie associativement le souvenir et l’événement, comme il relie la charge source d’affects aux représentations « ( 24 ) . « Représentations et affects sont dissociés avec disparition des pouvoirs de percevoir la représentation. Ce qui fait défaut n’est pas le sentiment d’existence mais le pouvoir de la représentation » ( 25 ).
Le mécanisme de clivage est la condition nécessaire au passage obligé pour que puissent s’élaborer les représentations.
« En mélangeant Lacan et Klein , on pourrait dire que ce qui se présente – représentation primaire – comme chose ne devient objet qu’en devenant bon ou mauvais. Il y a une perception primaire, perception-représentation, produisant un monde du » il y a » , sans négation mais immédiatement clivé par le moi-plaisir pour produire le sujet qui fait son entrée dans le monde par cette séparation du bon et du mauvais » ( 26 ).
Le clivage permet au représentant de la pulsion de devenir représentation.
« Pour l’état-limite, il lui faut remplir l’espace psychique menacé par le vide ou par l’intrusion d’une pulsion plus que par une représentation indésirable » (27 ).
« Il n’y a plus recherche d’une identité au sens d’une coïncidence entre une représentation et une perception, mais lutte acharnée pour maintenir une identité interne toujours menacée par un objet extérieur, toujours étranger au Moi, inassimilable par lui » ( 28 ).
La limite est la condition première de la pensée. Le mécanisme de projection ouvre la voie à l’organisation de la représentation ; la pulsion peut être mise en image . Pour accéder à la constitution d’un espace psychique structuré une abstraction doit pouvoir s’établir ; celle-ci requiert l’intervention du symbolique.
ESTOMPAGE DES LIMITES – INCAPACITE A ETABLIR DES LIENS
Le défaut de représentation et l’incapacité à établir des liens se déterminent réciproquement.
- Kernberg évoque » un estompage des limites soi – non soi, si bien que l’agressivité s’exprime indifféremment contre les autres ou contre soi » ( 28 ).
Sans cette capacité le sujet se trouve soumis à la pulsion d’emprise . » L’appareil psychique exige, pour se maintenir en état de marche , d’exercer son emprise directement sur l’appareil psychique de l’autre . La visée est d’empêcher chez l’autre ce qui fait défaut en soi : la constitution et le déploiement d’un espace psychique » ( 29 ).
« Faire naître l’autre à lui-même, naissance qui exige une reconnaissance de ce qui est absent. Parce que l’autre n’a pas réussi à se constituer son espace propre qui lui donnerait à vivre » ( 30 ). Cette formulation correspondant à un manque d’élaboration d’un Moi Idéal.
- Bion parle d’attaques qui empêchent la symbolisation, par une agression portant sur les unités de liaison. Cette incapacité à établir des liens résulte d’une prépondérance des forces de déliaison sous l’effet de la désintrication pulsionnelle.
Ce qui fonde le jugement d’existence et le jugement d’attribution se maintient à l’identique faute de processus plus évolués pouvant être à l’oeuvre dans les élaborations psychodynamiques.
Le ça est le lieu des processus de tension et de décharge, le préconscient est celui des processus de liaison et de déliaison. »La constitution d’un préconscient requiert l’établissement de cette limite interne qui peut admettre certaines représentations de l’inconscient, en éviter d’autres et procéder à des mouvements de part et d’autre de cette limite interne » ( 31 ).
Pour que l’identité de perception fasse place à l’identité de pensée, il est nécessaire que s’établisse un espace d’illusion à partir duquel va pouvoir s’instituer une inscription symbolique. Cet espace d’illusion, lieu dès élaborations imaginaires, permet la mise en place du préconscient.
EL ET ESPACE D’ILLUSION
« Le dilemme opposant la présence accusée, qui conduit au délire, et le vide du narcissisme négatif, qui conduit à la mort psychique est modifié par la transformation du délire en jeu et de la mort en absence dans la création du champ intermédiaire de l’espace potentiel » ( 32 ). L’illusion permet l’identité de perception : quelque chose arrive plus ou moins là et comme il était attendu.
» Les cas limites sont caractérisés par l’incapacité fonctionnelle à créer des dérivés de l’espace potentiel ; au lieu de phénomènes transitionnels ils créent des symptômes qui en remplissent la fonction » ( 33 ).
L’espace d’illusion désigne le lieu virtuel où le petit enfant expérimente ce qu’il est en train de créer ce qui est déjà là. Ce qui est éprouvé là est une expérience de vie fondatrice du sentiment d’identité.
- Winnicott parle également à ce sujet de la confiance primitive qui est à la base de la capacité d’être seul.
Dans cet espace d’illusion se développe ce qu’il appelle des fantaisies. En l’absence de celles-ci le sujet n’a pas d’autre solution que la retraite ou la fuite dans une forme d’existence à côté. La fantaisie est comme un roman constitué de représentations ayant valeur de paravent. Elle se situe dans le registre de la demande.
EL – ETAT INTERMEDIAIRE
L’une des définitions premières de l’EL correspond à des cas cliniques à la limite de la névrose et de la psychose. L’accent est ici mis sur la distinction processus primaires et secondaires, ainsi que sur les mécanismes de défense.
Je qualifierai plutôt ces états d’états intermédiaires dans la mesure où il s’agit de discerner ce qui évoque une structure psychotique ou une structure névrotique. L’état intermédiaire désigne cette notion prévalente de séparation.
Cette analyse rend compte de l’effort d’élucidation du thérapeute pour orienter son investigation ; elle correspond également de façon plus ou moins consciente à l’attente anxieuse du patient dans la mesure où elle concerne la question de la folie.
La limite est ici frontière entre deux domaines délimités. Tosquelles m’a fait un jour la confidence qu’il aimait se rendre dans les lieux qui se situaient à la frontière, lieux où se confrontent et non se confortent les savoirs.
Hors ces états intermédiaires, l’EL interroge différemment la notion de limite , l’interrogation portant d’abord sur ce qui distingue un contenant et un contenu. La limite sépare ici ce qui est limité de ce qui ne l’est pas. En conséquence l’EL concerne directement le domaine pulsionnel. La limite est ce qui sépare le fini de l’infini, l’infini étant l’illimité ; c’est à la limite du connu et de l’illimité que surgit l’angoisse.
Cette réflexion correspond également à celle exprimée par A. Le Dorze : « La frontière entre le dedans et le dehors est à la fois bien perçue et non intégrée. La mauvaise perception de la limite dedans-dehors aura pour conséquence que ce qui sera envoyé vers l’extérieur n’en acquiérera pas pour autant une indépendance par rapport à l’intérieur . Si le matériel projeté est de l’ordre de l’affect, il conservera une propriété d’affecter le sujet, quand bien même il y sera imputé au dehors. S’il s’agit de contenus représentatifs, nous assisterons à la reconnaissance par le sujet de traits de similitude chez l’autre. Il sera toujours impliqué dans tout ce qui advient autour de lui » ( 34 ).
Le patient en EL est en prise avec ses expressions pulsionnelles, craignant leur envahissement ou vivant sous leur emprise. En résulte pour le patient un profond malaise, souvent émaillé d’intenses éprouvés anxieux. La perspective de se trouver débordé par ses pulsions constitue un spectre menaçant qui risque d’envahir ses conduites et lui faire perdre tout libre arbitre.
L’EL peut conduire à des aménagements phobique ou pervers. Son inconscient à découvert le laisse sous l’emprise de ses pulsions. La focalisation de ses craintes sur certains objets lui laisse un peu de répit. L’aménagement phobique offre un compromis entre la libre expression pulsionnelle redoutée et l’inexistence de toute motion désirante : celle-ci s’exprime dans la phobie au prix d’une limitation de son champ d’exercice.
Dans l’aménagement pervers le sujet met en place sous l’effet de déterminismes inconscients un scénario qui va limiter plus ou moins les expressions pulsionnelles. Cette limitation s’effectue chez le pervers à la faveur de l’organisation de ses fantasmes ; la prime de plaisir trouve son contrepoint dans le caractère stéréotypé de l’extériorisation fantasmatique dans les conduites.
QUELLE LIMITE ?
Il existe des champs de la pathologie où la notion de limite à subjectivement disparu et d’autres où elle est interrogée par le sujet.
Le névrotique interroge l’Autre quant à sa capacité à le satisfaire.
Le psychopathe interroge un Autre social quant à sa capacité à remédier à ses impasses : relations avec une visée destructrice , vécu de préjudice dispersé tous azimuts, répétition qui concerne un vécu de traumatisme. Le psychopathe est plus que tout autre en prise directe avec une problématique d’emprise qui se situe à un niveau pulsionnel élémentaire.
Plus la problématique du sujet se situe au niveau d’un pôle pulsionnel , plus il se trouve confronté à être débordé aux limites de son Innenwelt.
Large est la gamme de ceux qui ne peuvent échapper à leurs destins pulsionnels , de ceux qui explorent et repoussent leurs limites. Un système illimité est sécurisant et enfermant ; ce caractère limitant est rejeté par nombre de sujets qui préfèrent jouer les apprentis sorciers de façon prométhéenne ; à l’égal des adolescents qui jouent avec le feu et testent leurs limites pour mieux les connaître.
Cette notion de limite a été bien développée par A. Green
« Il nous faut considérer la limite comme une frontière mouvante et fluctuante dans la normalité comme dans la pathologie. La limite est peut-être le concept le plus fondamental de la psychanalyse moderne. On ne doit pas la formuler en termes de représentation figurée mais en termes de processus de transformation d’énergie et de symbolisation « ( 35 ).
« La structure des cas limites peut être interprétée comme un déplacement des conflits intrapsychiques à la limite du champ psychique borné par le soma à l’intérieur et par l’acte à l’extérieur. Remarquons que ce sont les limites mêmes qui encadrent le montage pulsionnel » ( 36 ).
« C’est bien cette limite originaire que Freud trace d’abord avec l’opération inaugurale du jugement d’attribution. La décision qui confère sa qualité bonne ou mauvaise à un objet y est contemporaine d’un mouvement par lequel se constituent un dehors et un dedans » ( 37 ).
« La tentative de séparer le bon du mauvais, le plaisir du déplaisir, l’obligation de parvenir à la distinction entre le soi et l’objet, le dedans et le dehors, le soma et la psyché, le fantasme et la réalité ; toutes ces opérations entraînent le clivage chez le cas limite » (38).
« Chaque opération effectuée pour constituer cet intérieur est suivie d’une double menace : d’une part l’extérieur expulsé tend toujours à regagner sa patrie d’origine ; d’autre part dans l’intérieur ainsi constitué, une nouvelle division va se produire qui va traiter une partie de ce dedans comme non agréable, à bannir de cet intérieur , qu’il tentera sans cesse de réinvestir » (39 ).
Faute de limites suffisamment établies, le sujet est condamné à une lutte perpétuelle qui le voue aux mécanismes de clivage et de projection.
LIMITE ET EL
Est-il indiqué d’opposer une personnalité avec ses linéaments établis à un état avec une complexion protéiforme ?
Le sujet dont la personnalité est établie est un sédentaire même s’il peut pour des motifs plus ou moins facilement identifiables changer de domicile.
Le sujet en EL est un nomade. Être l’élu d’un lieu assigné à résidence n’est pas son but. Son abri est des plus fragiles, soumis aux intempéries. Il peut errer dans un no man’s land. Il peut également occuper temporairement le logis d’un sédentaire même s’il ne s’y fixe pas ; son instabilité l’induisant à demeurer squatter.
Il y a lieu de distinguer celui qui se positionne à la limite de celui qui se trouve à l’extérieur.
Celui qui se positionne à la limite de son territoire peut s’y trouver à l’aise ou pas. Ce qu’il y met comme engagement dépend de ce que lui indique son désir. Il y peut y aller avec un bagage plus ou moins conséquent, être plus ou moins doté pour affronter les difficultés auxquelles il va se confronter. Dans cette situation l’EL est une condition qui soumet le sujet à certains déterminismes auxquels il ne peut échapper. Il va tester cette frontière que le plus souvent ses ascendants ont délimitée, en expérimenter les bornes et les lignes de défense. Il peut la franchir à ses risques et périls.
S’il dispose d’un arrière-fond suffisamment solide, son ticket de retour sera valable ; dans le cas contraire son aspiration risque de lui être préjudiciable.
Celui qui est hors-limite peut s’y être transporté ou s’y trouver placé sans qu’il en ait eu le choix. Ce positionnement hors-limite a valeur structurale. D’un côté un horizon infini, de l’autre cette limite qui fait barrière et l’isole des autres , de ceux qui sont pourvus d’un heim. Ce hors-limite , C. Melman le définit comme un trou noir de la nosologie .
La limite est à la référence spatiale ce que le traumatisme est à la référence temporelle.
EL ET ETAT-FRONTIERE
Tout être vivant cherche à préserver son existence dans son écosystème et à élargir son territoire de façon expansive.
Beaucoup d’espèces animales marquent les limites de leur zone de chasse et se multiplient dans la mesure où leur progéniture peut les remplacer, assurant la pérennisation et la progression de leur espèce.
Depuis plusieurs millénaires les humains ont agi de même, fortifiant leur pouvoir dans la région qu’ils possédaient et se livrant à des guerres pour étendre leur influence.
L’existence de frontières implique les notions d’interdit et de normes ; ces notions étant édictées par le pouvoir politique et/ou religieux.
De nos jours la défense du territoire national ne requiert plus dans les pays développés la même énergie et ne constitue plus une préoccupation majeure ; les frontières sont bien délimitées et les déplacements entre pays sont bien codifiés.
Les pulsions agressives ne sont plus orientées vers la défense ou le franchissement des limites. D’autres voies de frayage impriment de nouvelles directions avec de nouveaux exutoires.
L’affaiblissement de ces pouvoirs dans les sociétés modernes laisse libre cours à des débordements avec une grande variété dans leurs modes d’expression, des plus sauvages aux plus organisés.
Les instances limitantes à l’oeuvre dans la structuration du sujet sont de deux ordres, telles que définies par le Surmoi et l’Idéal du Moi. Si les barrières surmoiiques sont moins à l’ordre du jour du fait de la promotion de l’individu, l’Idéal du Moi peut figer certaines organisations de personnalité dans une rigidité féroce.
EL ET ETAT HORS-LIMITE
Les catégories lacaniennes du Symbolique, du Réel et de l’Imaginaire nous permettent d’effectuer des distinctions qui prennent sens au regard de la notion de limite.
- Rassial nous indique que « Le jugement d’attribution distribue les représentations- perceptions pour constituer le Symbolique d’un côté comme ce qui est introjecté – ce qui est bon , je le symbolise – et le Réel de l’autre, comme ce qui est expulsé – ce qui n’est pas symbolisé fait retour dans le Réel ; alors que le jugement d’existence soustrait la réalité comme imaginaire, retrouvable dans le monde – mais aussi dans le corps – des représentations introjectées et symbolisées » ( 40 ).
Chez le sujet en EL « ce qui aurait échoué, c’est la conjugaison de l’Imaginaire et du Symbolique » ( 41 ). Cette prégnance de l’Imaginaire peut se traduire dans l’organisation d’une fiction qui tient lieu de mode de vie où tout est possible à l’intérieur d’un scénario organisé ; il en va ainsi de la fascination par des sujets vidéo ou le sujet devient héros.
JJ Rassial distingue deux couples d’opération : » D’abord celui de l’Austossung ( expulsion) donnant la dynamique de la forclusion et de la Bejahung, affirmation primaire, symbolisation sur quoi portera le refoulement originaire, première inscription ; ou bien je symbolise dans l’inconscient, ou bien j’expulse dans le Réel. Le second couple c’est celui de la Verdrangung ( le refoulement )et de la Verneinung ( la négation ), sachant, comme le dit Freud et le souligne Lacan, que la logique de ce couple n’est plus la disjonction puisque le refoulement et le retour du refoulé , c’est la même chose » (42).
Hors de l’Imaginaire « Le Réel est le reste de la première opération symbolique de Bejahung/Verwerfung (affirmation/abolition) de partage qui produit un espace psychique virtuel » (43) . « Le Réel est ce qui doit être conceptualisé pour poser la limite » (44).
La limite entre Imaginaire et Réel constitue une frontière qui permet la constitution du narcissisme et ouvre la voie au refoulement originaire. Pour cet EL , tout est réalisable constitue une fiction en temps que telle. Le sujet conserve la capacité de faire le deuil de certaines illusions.
Une nouvelle axiomatique organise les modalités d’expression de notre étant. L’observation de nos mœurs rend compte de la moindre prégnance du Symbolique dans nôtre quotidien, que ce soit dans les productions artistiques ou dans ce qui alimente nos satisfactions libidinales.
L’Imaginaire est également en perte de vitesse. De plus en plus le Réel infiltre les modes d’organisation de nos pensées et de nos agirs sans que nous en ayons pleinement conscience.
Franchis les interdits, démodés les fantasmes. Mais alors quelles limites à l’expression des pulsions ? Leur expansion sans qu’elles puissent être contenues conduit à l’implosion de l’être, le déchaînement pulsionnel aboutit à des conduites désorganisées.
La dernière limite à partir de laquelle il n’y a plus de retour possible est un Réel, qu’il n’est possible d’approcher que par les représentations que nous pouvons en figurer, qu’il s’agisse d’ordalie ou de soumission à la tyrannie des chiffres.
À la différence des névroses traumatiques où le Réel reste arrimé par l’Imaginaire : » Les névroses traumatiques : c’est ce qui vous dit que le Réel ça ne tient que par le biais de l’Imaginaire » (45).
Dans cet état hors-limite Imaginaire et Réel sont disjoints ou collabés ; la distance en temps que condition limite se trouve infinie ou abolie.
Jean-Pierre MEAUX