Transcription de la Conférence de Jean Marie Forget du 18 mars 2016

Les enjeux des pulsions : la clinique des pulsions, une clinique actuelle.

Il y avait une collègue enseignante qui nous avait fait un topo pour souligner comment, dans sa classe, elle repérait que les adolescents adressaient des mots à son regard et elle était effectivement éprouvée à devoir tenir sa place d’enseignante. C’est assez logique car si vous voulez entendre avec l’oreille des mots qui sont adressés à votre regard, ça traverse votre corps. C’est ce que je trouve intéressant à développer un peu.

C’est une intrication des pulsions dans le champ scopique, et une traversée du corps. J’ai déjà beaucoup développé ceci avec la question des actings, des mises en scène. Je ne vais pas y revenir. Ceci correspond à l’incidence du regard dans le monde actuel. Nous sommes un peu familiers de ces choses-là. Ce qui me semble plus intéressant, c’est de repérer comment dans les défaillances symboliques du monde actuel, les jeunes ou ceux qui cherchent à s’y repérer, vont solliciter les autres ou vont solliciter l’autre, soit dans l’imaginaire soit dans le réel. Quand on ne trouve pas une décomplétude, une rigueur dans le champ du symbolique, par la parole, quand l’autre ne témoigne pas d’une restriction de jouissance dans le rapport à l’objet, quand il n’y a pas de répondant du côté du symbolique chez l’autre, on va le solliciter soit dans l’imaginaire par les mises en scènes d’acting-out ou de symptôme-out, soit dans le réel dans le champ pulsionnel, en allant quêter ce qui ferait allusion à la décomplétude langagière.

Ça nous permet d’utiliser les outils de Lacan, de les mettre à notre main pour nous décaler un petit peu. C’est-à-dire qu’on est amené à une clinique qui traite moins de la névrose et de la différence sexuée à proprement parler. On est obligé de prendre les choses dans une antériorité logique ; pour que l’on se rapporte à une différence sexuée et pour traiter la différence en terme de manque, il faut d’abord qu’il y ait une perte. Il s’agit qu’il y ait une perte rigoureuse du côté langagier pour que cette perte se joue et se manifeste dans un manque qui définit deux positions. D’emblée, vous voyez bien que du côté langagier, il y a une articulation de deux positions : l’énonciation et l’adresse de l’énonciation. Il me semble que dans la labilité des repères langagiers actuels, il est assez frappant de voir que les sujets vont chercher une rigueur dans le champ langagier à défaut qu’elle soit mise en place par la parole. Cela va jouer dans le champ des pulsions. Je rappelle les propos de Lacan concernant les pulsions. C’est dans Le Sinthome[2] :

C’est l’inscription dans le corps du fait qu’il y a un direJ’avais utilisé une formulation un peu différente dans le livre sur les pulsions, qui la reprend en partie : C’est l’inscription dans le corps de l’enfant de la structure langagière de l’autre, du fait qu’il y a un dire.

Le rapport de l’enfant à la structure langagière de l’autre l’amène à inscrire au niveau des orifices du corps, des marques qui témoignent d’une impossibilité dans l’autre. Ça laisse des marques au niveau des orifices du corps du sujet. C’est un élément important. Vous voyez du côté pulsionnel, ce qui va jouer de manière partielle, dans le champ des pulsions partielles, dans le champ de la partialisation des pulsions comme dit Lacan : le sujet va chercher ce qui fait la structure langagière de l’autre, pour y trouver une assise au niveau de la parole et du langage et pour pouvoir ensuite traiter les choses dans le champ sexuel, dans le champ des différences sexuées ; mais tant qu’on n’a pas de perte, il n’y a pas de raison de traiter les choses dans une différence sexuée. On peut coucher ensemble mais l’identité sexuée, c’est autre chose. C’est traiter les choses en terme de manque. Pour traiter les choses en termes de manque, il faut que le manque rende compte d’une perte originaire à laquelle on a consenti.

Si vous vous référez au discours actuel qui est un discours inconséquent où il y a une absence de contradiction, vous avez l’exemple même du discours où il n’y a pas de référence à la perte. On peut dire n’importe quoi. Ça ne pose aucun problème. S’il n’y a pas de référence à une perte, s’il n’y a pas de contradiction, pourquoi aurait-on besoin de rendre compte d’une perte dans une différence sexuée ? Nous pourrons revenir sur cette structure du discours. Ce que je trouve intéressant du côté pulsionnel, c’est de repérer que la quête dans les manifestations symptomatiques des enfants, surtout des adolescents – et du côté féminin on trouve un peu la même chose – est la quête d’une rigueur langagière par le biais pulsionnel. C’est assez saisissant. Cela nous amène à traiter les manifestations logiquement : du côté du rapport de la parole et du langage. C’est dans le fil de ce qu’amenait Lacan.

L’autre élément consiste aussi à pouvoir équilibrer les rapports homme / femme. Il me semble qu’on est prisonnier du fil où Freud disait : « Il n’y a qu’une libido » et Lacan : « Il n’y a qu’une parole ». La parole est sexuée puisque le signifiant maître c’est un signifiant phallicisé, c’est incontestable. Seulement il n’y a pas de parole sans structure langagière. C’est-à-dire qu’on est toujours pris par la quête de l’antériorité, du premier temps où on parlerait. Quand on est pris dans une recherche d’antériorité logique, on voudrait qu’il y ait une cause. On va dire : « Il y a une parole ». Ce n’est pas faux mais Lacan nous a montré qu’il y a plusieurs consistances : réel, imaginaire, symbolique. Il n’y en pas une qui prime mais il y a une articulation. D’un point de vue imaginaire, on voudrait qu’il y ait une cause. Ce n’est pas tout à fait juste. Il n’y a qu’une parole mais il n’y a pas de parole sans structure langagière. Ça me semble important notamment parce que ça répartit les responsabilités et les quêtes du côté homme et du côté femme, d’une manière qui me semble plus judicieuse. A mon sens, on pourrait travailler et repérer comment dans la manière dont on utilise les outils, les concepts lacaniens, on les traite souvent du côté homme. Et le côté femme est mal traité.

Si on considère les choses du côté de la parole et du langage, ce que Lacan évoquait comme un non-rapport sexuel, cette impossibilité de s’entendre, ça se joue du côté du langage. Il y a un côté d’énonciation qui détermine un autre champ qui est celui de l’adresse de l’énonciation. Il y a donc deux champs différents qui vont avoir du mal à s’entendre.

Vous pouvez le repérer dans la clinique, on voit des phobies d’enfants qui ne relèvent pas actuellement directement du sexuel. Il ne s’agit pas tellement pour un enfant de ne pas assurer la jouissance de la mère ou de ne pas être le phallus de la mère. Il va s’agir pour un enfant de pouvoir renoncer à venir objecter, obturer la décomplétude de la mère, du côté langagier. Il s’agit que la mère ou l’Autre, une autre personne en position d’Autre puisse consentir à une perte du côté langagier. Or, l’enfant risque toujours de venir boucher cette perte. Il s’agit de réintroduire cette perte dans le discours de la mère pour désamorcer les phobies. On le voit d’un point de vue clinique dans une exigence qui est tout à fait différente que directement celle du sexuel. Réintroduire cette exigence de perte dans le champ langagier de la mère, ou de ceux qui s’occupent de l’enfant, désamorce la manifestation ; c’est tout à fait particulier. C’est un point qui me semble important. C’est ce que j’évoquais avec ce travail sur la différence sexuée.

Il y a un élément important qu’il faut avoir à l’esprit. C’est le moment de la naissance d’un enfant. Ça confronte une femme comme mère à une situation de radicale solitude et, à devoir traiter la question de la perte qui se joue pour elle dans cette naissance, en rapport à sa propre structure langagière, dans sa solitude. Le rapport a son objet perdu du fait d’être un être de parole. C’est sa structure langagière. La manière dont l’enfant va trouver sa place, va se poser dans ce champ de la parole et du langage avant même d’être habillé de la sexualité et de l’identité sexuée du père et de la mère. Il y a quelque chose de radical. On peut traiter par exemple, les dépressions puerpérales ou le post-partum blues comme des épreuves. C’est effectivement, une épreuve, une perte et un travail de deuil tout à fait spécifique pour la mère entre l’enfant imaginaire qui reste la poursuite de son phallicisme imaginaire pendant la grossesse et puis l’enfant réel. Cet écartèlement de la mère, ce sont des indices d’une position subjective. C’est un franchissement. Il y a une position subjective féminine qui se joue à la naissance d’un enfant. Pour l’enfant, il me semble important de repérer que la question de sa place va se traiter dans le rapport à la structure langagière de la mère avant même de la traiter dans le champ de l’imaginaire phallique ou dans la sexualité.

Je vais vous donner un exemple du champ pulsionnel. Je vais surtout développer la pulsion motrice. C’est une identification qui est tout à fait importante, notamment du fait de cette traversée du corps de l’autre. Il me semble qu’il y a deux types de pulsions qui sont à identifier dans leur singularité: la pulsion d’invocation et la pulsion motrice. Ces deux pulsions, en se bouclant, ont la particularité de définir un vide où il va y avoir un objet. Pour l’une, c’est l’objet voix, pour l’autre, je vous propose, l’équilibre[3]. Des pulsions qui vont être corrélées en même temps à la constitution chez l’enfant de sa propre métaphore. Il y a donc un rapport à la structure de la parole et du langage tout à fait spécifique dans ses deux pulsions. Vous voyez bien que la pulsion orale ou la pulsion anale, impliquent pour qu’elles se jouent, pour qu’il y ait l’aller-retour de la pulsion, que la métaphore soit déjà en place, parce que l’enfant qui mange sa mère ou qui est mangé par sa mère, il faut bien que ce soit métaphorique sans quoi on entre dans le cannibalisme. Il y a donc une antériorité de la structure qui s’est déjà mise en place.

Un petit exemple, au niveau de la pulsion motrice qui m’a beaucoup étonné récemment. J’ai reçu un petit garçon de deux ans et demi, qui m’était adressé pour des manifestations d’autisme. J’étais un peu surpris car je n’étais pas particulièrement familier de ces manifestations. Il m’était adressé faute de place au CMP. La tante et la mère étaient toutes deux inquiètes de l’état de cet enfant. Un généraliste me l’envoie et je reçois cet enfant avec la tante et la mère. C’est un enfant incontestablement autiste : cris, stéréotypies ;il reste dans son coin, mutique. La tante qui est dans le domaine des soins, me raconte comment cet enfant est mal depuis environ un an. Les manifestations ont débutées après la naissance d’une petite sœur parce que la mère était absente. Elle s’est absentée aussi parce qu’elle faisait des études. Elle avait des examens, des stages, etc. Elle présente un tableau d’abandonnisme qui expliquerait l’autisme de cet enfant. Pendant ce temps là, la mère est très réservée, plutôt discrète, assez coupable, mal à l’aise.

Ce qui a été difficile dans ce début d’entretien, c’est de réintroduire la mère. Je m’efforce de l’interroger, d’essayer de comprendre ce qui lui arrive. Elle me dit qu’elle a peur de son enfant. Elle a peur de ses manifestations, sans doute, mais aussi de ses réactions quand elle prend une position d’autorité de mère à son égard. Alors, j’essaie de comprendre pourquoi elle a peur. J’ai vraiment très peu d’éléments. J’en aurai par la suite mais pas sur le moment. Pendant ce temps-là, cet enfant qui se balade pendant la séance, d’une manière un peu inconsidérée, en vient à trébucher aux pieds de sa mère. Il tombe aux pieds de sa mère. A ce moment-là, elle le saisit dans ses bras. Il va se nicher dans ses bras. Et c’est tout à fait frappant. J’ai dit quelques mots et on a terminé la séance. On s’est revu par la suite. Ça a marqué un franchissement pour cet enfant.

Ultérieurement, ses manifestations n’étaient plus du tout dans cette situation où il serait hors du domaine de l’objet mais plutôt dans des préoccupations où il était à se plaindre, à pleurer, à être angoissé, à craindre de se séparer de sa mère, à se plaindre de ce que sa mère ne s’occupait pas de lui. Il était rentré dans le monde de l’objet et dans la crainte de perdre l’objet.

C’est étonnant, cet exemple-là. Je ne m’attendais pas à ce qu’il y ait ce mouvement pulsionnel qui puisse se mettre en jeu chez cet enfant. Si on rapporte ça au temps logique[4], c’est assez frappant : cet enfant m’est adressé, dans le transfert, c’est le temps de voir. Il y a le temps de comprendre qui se met en place pendant la séance et où je réintroduis la mère par rapport à un savoir qui est déjà constitué. On a déjà raconté une histoire où elle est complètement disqualifiée. Je verrai pourquoi, plus tard, elle est disqualifiée dans la famille. Puis la mère est réintroduite, se retrouvant ré instituée dans sa fonction maternelle et son enfant tout autant. Il se précipite à ses pieds et elle l’accueille comme mère. En s’affranchissant de la peur imaginaire qu’il pouvait susciter.

C’est frappant. C’est vraiment l’assertion de certitude anticipée de Lacan, c’est-à-dire qu’il a fallu que la mère soit reconnue pour qu’intuitivement elle soit disponible pour son enfant et que celui-ci repère cette disponibilité pour se précipiter aux pieds de sa mère dans ce qui apparaît, après-coup, comme un passage à l’acte. Il se précipite pour quêter des bras de l’autre qu’ils puissent assurer son équilibre. Je trouve ce mouvement pulsionnel tout à fait saisissant et absolument inattendu pour moi, chez cet enfant. J’ai pu poursuivre ultérieurement le travail avec lui, réintroduire les choses avec le CMP, le dispensaire, et l’intersecteur qui s’est montré plus disponible ; et on arrive à travailler ensemble. Je trouve cet exemple, assez intéressant et je trouve surprenant cette manière dont un enfant va quêter dans le réel – vous trouvez ça dans le passage à l’acte – une place qu’il n’arrive pas à trouver dans le symbolique. Bien entendu, il faut reprendre cela dans le transfert. Vous retrouvez cela dans d’autres manifestations. Il s’éjecte d’une position. Il introduit dans le réel, un écart entre l’endroit d’où il partait et l’endroit où il arrive et cet écart dans le réel, ça montre la place de sujet qu’il n’arrive pas à trouver. Il s’agit de le reprendre dans le transfert afin de pouvoir l’élaborer. Je trouve cela intéressant d’essayer, et du côté de l’acting et du passage à l’acte, de trouver la continuité logique de la quête du sujet. Les mises en actes ne sont pas complètement coupées du fonctionnement névrotique. C’est un défaut de pouvoir se structurer comme névrosé qui amène le sujet à cela. On trouve les mêmes considérations, les mêmes quêtes.

Dans ce fil-là, je vous proposerai un élément qui m’a amené à travailler sur cette pulsion motrice et à lire et à essayer de tirer profit de ce que Jean Bergès avait avancé parce qu’il avait une subtilité d’approche tout à fait saisissante. C’est toute la question des enfants agités, hyperactifs qui sont des enfants agités dans le réel. Sachant que cette manifestation bien entendu n’est pas un symptôme mais c’est une manifestation symptomatique. Un symptôme est lié à une contradiction. La contradiction du symptôme, c’est de mettre en regard de cette hyperactivité de l’enfant, l’inactivité symbolique du monde qui l’entoure. On n’arrive pas à le cadrer. Le discours des autres n’a pas d’effet. Il lui échappe. Effectivement, l’enfant agité, l’enfant hyperactif ou TDAH si vous voulez, est un enfant qui est sur des charbons ardents. La place qu’on lui assigne est insupportable. Il s’éjecte en permanence de cette place et il va quêter dans le réel des bras – une parole bien entendu mais ça va se passer d’abord dans le réel du corps – une place qui puisse lui être acceptable et où il puisse se trouver reconnu. C’est ce mouvement, cette motricité en permanence relancée qui me semble assez frappante. Bien entendu, comme il est en mouvement, il a des problèmes d’attention. Il n’est pas capable de se poser et d’être un peu attentif et les problèmes scolaires vont s’en suivre. Il y a là une corrélation logique.

J’étais étonné, dans certains cas, de pouvoir faire le point avec des parents sur la situation de l’enfant, sur l’histoire qui pouvait l’avoir amené là, de pouvoir déplier les choses avec les parents alors que l’enfant qui s’agitait au début, s’endorme sur sa chaise. Les parents sont éberlués. Ils se tournent et ils découvrent que leur enfant dort. Inconcevable ! Jean Bergès disait ça. Il suffit de cadrer un enfant. Quand on fait un électroencéphalogramme ou bien quand on fait de la relaxation pour que l’enfant s’apaise, il s’endort, il est apaisé par le cadre qu’on lui propose.

Cette question de l’hyperactivité, dont on parle beaucoup maintenant, est une manifestation qui est ancienne et qui était bien connu dans le monde antique. Lors de l’exposition des Dogons à Paris, on constatait qu’ils faisaient déjà part des enfants hyperactifs. Je vais vous lire quelques lignes parce que je trouve ça amusant.

Si un enfant de cinq à sept ans, se distinguait par des crises, des cris, des larmes, des courses dans la brousse, par exemple, il ramassait une pierre qu’il ne quittait plus. Une fois calmé, on lui prenait cette pierre pour la cacher et si l’enfant la retrouvait à trois reprises, souvent après une crise, c’était la confirmation de sa destinée. A vingt ans, il était nommé devin binu. A sa mort, les anciens prenaient les pierres de sa cassette, et c’est seulement, lorsqu’un nouvel enfant se manifestait en retrouvant les pierres cachées, que la communauté désignait un nouveau guérisseur devin, ce qui pouvait prendre du temps. Il portait les colliers avec la pierre dugé, c’était l’assistant du Hogon qui est le sage, qui souvent très âgé avait besoin des conseils et de l’aide du Binu, [donc de cet enfant hyperactif]. Il était actif dans le village. Il était chargé d’exécuter les sacrifices faits avec le mil récolté dans son champ, d’autant plus qu’il était aussi guérisseur. Fonction qu’assurait aussi le forgeron. Chacun était spécialisé dans un type de maladie. Il habitait non loin du Hogon donc, du sage et son autel était abrité à l’intérieur d’une petite case, couronnée de crochets à nuages en fer dont l’entrée était strictement interdite.

Vous voyez l’hyperactivité, c’est ancien. C’est intéressant de voir que dans d’autres civilisations[5], on ménageait une place un peu différente ….

Dhonte : Une place éminente.

J-M. Forget : Eminente…. Autre que le « TDAH »…. Ce que je trouve intéressant, c’est cette agitation de l’enfant quiest une quête pour se dégager d’une position impossible. Cet enfant qui n’a pas de limites va se cogner aux autres. Il va chercher des limites en permanence ; c’est un peu comme la difficulté qu’on a parfois à apprécier notre empattement quand on emprunte un véhicule qui est plus grand. On a des difficultés à savoir comment nous diriger, comment apprécier nos propres limites. Il me semble que c’est quelque chose de cet ordre-là. Je reviendrai à propos du transitivisme sur cette question.

C’est à partir de là, qu’il me semblait intéressant d’identifier la pulsion motrice d’une manière rigoureuse. C’est quelque chose qu’on lit entre les lignes chez Jean Bergès. Il l’évoque une fois ou l’autre, comme un objet petit a. C’est un outil clinique qui se révèle avec l’enfant autiste dont je vous ai parlé, mais aussi dans l’hyperactivité. Il nous permet de repérer ce que cherche l’enfant. L’enfant hyperactif, confronté à un discours inconséquent, va chercher dans le réel, une réaction, une prise en compte, une prise en charge, une prise en main en quelque sorte de la part des adultes.

Je vous propose un exemple de discours inconséquent, qui correspond au discours capitaliste. Un enfant agité n’allait pas en classe, il séchait les cours; un beau jour il me dit : « C’est formidable ! A la fin de la semaine, je vais pouvoir sécher le vendredi après-midi parce que mes cousins de province organisent un anniversaire. Les parents m’ont envoyé un ticket de train et donc je vais pouvoir sécher le vendredi après-midi ». Je suis un peu étonné car il se faisait sanctionner chaque fois qu’il séchait. Je lui dis mi-figue, mi-raisin, que ça lui pose peut-être un peu problème qu’une fois, il soit sanctionné parce qu’il sèche l’école et qu’une autre fois, on le lui conseille. Alors, il grogne. Et, on en reste là.

Le soir, la mère me téléphone et me dit : « Il parait que vous lui avez passé un savon. Il nous a expliqué que vous n’étiez pas d’accord.». Là aussi je reste à grogner. La mère continue à parler et dit : « On a compris que c’est un peu idiot qu’il sèche l’école alors qu’on le sanctionne habituellement ; bon, il prendra un train plus tard…… ». Je trouve ça formidable. Ce gamin hyperactif, qui embête tout le monde, est allé transmettre l’interrogation que je lui posais comme une véritable interrogation et ses parents ont pu la reprendre comme une interrogation. C’est une subtilité, tout à fait saisissante. Il aurait pu le prendre comme le font les enfants : les parents contre le psy, ou, ne rien en dire, éventuellement. Ou bien dire : « Il n’est pas d’accord. Il a dit que c’était stupide, ce que vous faisiez ». Il aurait pu jouer les choses d’une manière ou d’une autre. Non. Il le transmet de telle sorte que les parents ont pu y reconnaître une interrogation et s’y retrouver. C’est dire que l’important est bien la quête de l’enfant de trouver une place qui soit définie et dans laquelle il puisse s’apaiser. Je trouve cela absolument surprenant.

Si on revient à la pulsion. La pulsion motrice. Son orifice, son origine est un peu délicate à situer, elle correspond à un cercle qui unit les extrémités des membres d’un enfant. Les mains, les pieds. Vous faites un cercle comme la base d’un cône. Le corps d’un enfant est au fond du cône. Voici l’orifice qui correspond à l’extrémité des membres. La question de l’équilibre est quelque chose que Jean Bergès a soigneusement développé. On retrouve ça dans le Nouveau Traité de l’enfant et de l’adolescent[6] et dans le livre de recueil de ses textes que Marika a fait republier[7]. Il souligne qu’il y a trois écarts qui manifestent l’équilibre d’un enfant. Le premier écart se situe au sein même de l’axe postural de l’enfant, de la colonne vertébrale, de l’axe central de l’enfant. L’écart va se jouer entre la rythmicité qui va s’inscrire au niveau de cet axe et la motricité qui s’ébauche. La rythmicité des besoins qui insistent de l’intérieur du corps de l’enfant comme la rythmicité de la mère, la réponse de la mère ou de l’entourage. En ce lieu s’inscrit la rythmicité, en même temps que se développe un mouvement de motricité autour de l’axe. La motricité s’articule donc à la rythmicité mais ce sont deux éléments différents, distincts.

L’autre écart se situe entre l’axe central et les extrémités. C’est-à-dire qu’initialement l’axe du corps de l’enfant, essentiellement couché, peut lui permettre un certain nombre de rotations. Il bouge, se mobilise autour de l’axe du corps qui est vraiment le point d’appui de son corps. Or un autre versant de la motricité mobilise les extrémités du corps, les extrémités du corps qui, initialement, sont l’objet d’une hypertonicité. Vous avez les réflexes archaïques, le grasping, le réflexe de Moro ou réflexe d’embrassement de Moro, le fait que l’enfant peut marcher dès la naissance ; cet hypertonie des mains et des pieds va céder ensuite pour une hypotonie généralisée. Vous avez un écart entre l’axe central et l’hypertonie des extrémités.

Jean Bergès souligne aussi que vous retrouvez aussi cet écart au niveau de la latéralisation. Ce sont des remarques où il reprend les travaux de Wallon, de Piaget et notamment d’Ajuriaguerra. Il souligne qu’il y a deux latéralisations. Une latéralisation centrale autour de l’axe du corps qui est moins fine en quelque sorte qui correspond à la manière dont l’enfant va se tourner. Et une latéralité au niveau des extrémités, avec une tonicité qui est associée à cette latéralisation. Donc, vous avez deux latéralisations. Ça souligne l’écart entre l’axe postural central et les extrémités. L’équilibre est une expérience que l’enfant va éprouver dans cet entre-deux.

Le troisième écart qu’amène Jean Bergès, est un écart qui nous est plus familier. Il souligne comment, à l’immaturité de la motricité de l’enfant, de la fonction de l’enfant, la mère substitue son propre fonctionnement. Bien entendu, il y a un écart qui est tout autre, qui est effectivement, la manière dont la mère se substitue à l’enfant ; elle est vraiment dans une position de substitution. Au niveau de la motricité, c’est incontestable. Ce qui me semble intéressant, c’est de bien repérer que ce jeu de substitution s’exerce avant même que ce soient les mots qui commente cela. Alors qu’au niveau de l’oralité, la mère fait patienter son enfant en lui parlant, elle introduit des signifiants ; Il me semble qu’au niveau de la motricité, il n’y a pas simplement les signifiants ou ce que la mère peut dire à l’enfant, mais il y a le fait qu’elle va substituer par sa motricité propre la trame langagière qui fait tenir son corps. C’est l’élément essentiel : dans la substitution motrice, c’est ce qui fait tenir son corps qui se substitue comme fonction à l’immaturité du fonctionnement de l’enfant. Il y a quelque chose de tout à fait saisissant dans cet écart entre l’immaturité de la fonction et le fonctionnement de la mère. Cet écart illustre bien – et Jean Bergès le dit de manière très discrète – un objet petit a. Il y a l’écart de l’objet perdu, incontestablement, où l’enfant bouge. Il est dans le « je bouge » mais dans un écart qui lui reviendra dans le sens où : « je suis bougé par ma mère ». C’est dans un second temps.

L’origine de la pulsion correspond aux extrémités des membres. L’enfant s’agite par ses membres vers la mère, qui entend ça, qui considère ça comme un appel. Et qu’est-ce qu’elle va faire ? Et bien, elle le soutien dans le holding comme le reprend Winnicott, par son axe postural, par ce qui fait la structure de son corps. Le premier équilibre de l’enfant, d’une manière assez surprenante, va être entre ses extrémités et l’axe postural du corps de la mère. Le second temps, le « je suis bougé » s’expérimente, va se passer par les extrémités de la mère car c’est par ses mains qu’elle anime son enfant. Et donc, le parcours pulsionnel va traverser le corps de la mère ; elle tient son enfant par l’assise de son corps …. On sait bien comment les mères narcissiques, les mères fragiles d’un point de vue symbolique sont toujours dans cette crainte … ou vont laisser tomber l’enfant. Il y a quelque chose là qui ne tient pas dans leur propre assise. Il y a donc cette assise qui est le premier temps et puis le deuxième temps, et une autre mobilité de l’enfant, le « je suis bougé », qui correspond à la mobilisation par les extrémités de la mère. Donc, ça traverse le corps de la mère. Dans le second temps, quand l’enfant est bougé, il ressent la mobilisation de l’axe de son propre corps et c’est à ce moment-là, qu’il va pouvoir lui-même, faire l’expérience de l’équilibre entre l’axe de son corps et ses propres extrémités. Effectivement, le « je me fais bouger » va s’en suivre du fait de la mobilisation de ses extrémités et l’engager ensuite dans un parcours pulsionnel. Il y a ainsi un évidement, la pulsion se bouclant sur un vide. Vous avez cet objet petit a qui est l’équilibre et que l’enfant va aller chercher dans sa mobilisation à l’égard de la mère. Ce sont des points, tout à fait intéressants à repérer, à identifier. Vous avez effectivement, « je bouge », « je suis bougé », « je me fais bouger ». Ce sont des caractéristiques de la pulsion, en tant qu’elles se posent en terme de verbe et de modes du verbe bouger.

Il y a autre chose à noter dans le bouclage de la pulsion comme Freud l’a amenée et Lacan le reprenait aussi. L’intérêt du bouclage de la pulsion, c’est que lorsqu’elle se boucle, il y a la découverte par l’enfant et la vérification par l’enfant que l’autre est une structure langagière décomplétée. Puisqu’il y a un vide, ça tourne autour d’un vide. Que l’autre soit une structure langagière, la preuve c’est : « je bouge », « je suis bougé », « je me fais bouger ». Cette structure langagière est centrée sur un vide. C’est frappant. Ça va donner lieu à ce que Freud et Lacan amènent qui est l’identification transitive. C’est-à-dire qu’effectivement, le Nouveau Sujet comme dit Freud, ou le sujet nouvellement advenu, comme insiste Lacan, c’est-à-dire le sujet qui n’était qu’en devenir va devenir sujet à ce moment-là, dans la partialisation d’une pulsion. Il expérimente que l’autre est une structure langagière, et qui est évidée. Il y a quelque chose à reconnaître, si on suit ce que je vous évoquais, dans la particularité de ces deux pulsions, invocante et motrice, qui vont traverser le corps de la mère. Cette traversée du corps de la mère, correspond à une sorte de pont symbolique. Ce pont symbolique, c’est la structure de la métaphore de la mère. Que l’enfant puisse s’adresser à la mère et qu’il rencontre une disponibilité de celle-ci en retour de ses débordements moteurs, c’est que la mère est attentive et décomplétée. La mère décomplétée, c’est S(Ⱥ)[8]. Elle consent à une perte pour ménager une place pour son enfant. Or ce qu’elle met en jeu par sa motricité et ce qui va s’engager ainsi – on retrouve ça aussi au niveau de la pulsion invocante – c’est que la parole ou l’initiative à l’égard de l’enfant, correspond à la phallicisation de son corps. C’est la manière dont son corps tient. Vous avez donc à l’entrée de ce parcours pulsionnel, ce pont symbolique qui se fait à partir de la décomplétude langagière de la mère et qui débouche en elle sur la phallicisation de son corps.

C’est le parcours de la métaphore. C’est ça qui est assez surprenant. Que ce soit la pulsion motrice ou la pulsion d’invocation, vous avez le bouclage de la pulsion c’est-à-dire l’évidement d’un objet … Effectivement, l’autre est évidé. Il y a cette place de l’objet voix, de l’objet équilibre et en même temps, ce parcours est corrélé à ce qui fait la structure de la parole même, du fait de cette identification transitive de l’enfant avec ce qui fait la métaphore dans le corps de la mère et ce pont symbolique. Il entre ainsi en résonnance, en quelque sorte. J’appelle ça un pont symbolique parce que ça me paraît bien refléter que pour que la pulsion se boucle entre le premier et le second temps, il faut que ça puisse passer dans le corps de la mère ou dans le corps de l’autre. Si ça ne passe pas, s’il y a un problème avec la métaphore, le deuxième temps de la pulsion ne pourra pas se jouer et l’enfant va se trouver en difficulté pour saisir son assise et son équilibre dans son propre corps.

Bien entendu il y a une asymétrie dans tout cela parce que ce qui se joue du côté du corps de la mère, c’est son expérience de l’équilibre qui est passé par sa trame symbolique, par rapport à l’imaginaire, à i(a), par rapport à sa propre image et à l’expérience et à la maturité de son corps au niveau neurologique. Cette articulation « réel, imaginaire, symbolique » dans le corps de la mère qui est l’adresse de cet élan pulsionnel et cette traversée du corps de la mère, est la traversée d’un corps qui est déjà structuré, à sa manière, entre ces différentes dimensions.

Ces deux pulsions : invocation et motrice sont deux pulsions qui définissent et cernent un objet. En même temps, elles sont spécifiquement articulées à la structure de la parole et du langage par le biais de la métaphore. Et, cet effet de résonnance dans lequel l’enfant se trouve incité à structurer sa propre métaphore, me semble tout à fait important dans ces deux pulsions. L’exemple, que je vous prenais, avec cet enfant, qui a des manifestations autistes et qui a recours à ce jeu pulsionnel me semble tout à fait éclairant. Dans la clinique, les analystes sont sollicités dans leur corps, que ce soit par des cris ou par des manifestations verbales qui sont très vives.

C’est important, par rapport à l’ensemble des pulsions, d’identifier l’équilibre comme un objet a et de le traiter, de l’introduire comme les autres, dans un parcours analogue. La pulsion se boucle à son origine, aux extrémités du corps de l’enfant, c’est-à-dire qu’elle se boucle sur un vide dans une logique rigoureuse.

Il y a un dernier point qui est celui du transitivisme. Le transitivisme est un travail qu’avaient fait Jean Bergès et Gabriel Balbo qui était assez formidable. Vous savez, qu’ils se rapportent à un élément tout simple. A savoir, qu’est-ce qui fait qu’un petit enfant qui se cogne et poursuit son chemin sans réagir en un premier temps, sous le coup du regard de sa mère effondrée, qui le plaint, se met à pleurer, en un second temps ? C’est quand même tout à fait surprenant. Ils s’interrogeaient sur cette manifestation, justement, en introduisant le transitivisme. Je trouve que cette expérience fait résonnance avec ce que je vous évoquais de ce temps d’identification transitive. Ça me semble un élément à approfondir pour trois raisons.

A suivre ce qu’ils proposaient initialement, c’est un savoir sur la souffrance qui viendrait d’une manière directe de la part de la mère. Cela peut nous étonner puisqu’on est plutôt habitué à ce que les choses nous viennent sous une forme inversée. Ce qui n’est pas le cas.

Cette manifestation rejoint ce qu’on voit dans la clinique actuelle. On est témoin de ce que des enfants sont confrontés incontestablement à des difficultés mais ils n’en souffrent pas. C’est l’entourage qui en souffre. Un sujet se cogne contre une difficulté mais est il incapable de structurer un symptôme à partir de là. C’est l’entourage et les proches qui vont souffrir à sa place. Ça me semble intéressant de rapporter ceci en regard.

Enfin, c’est l’affaire d’une substitution. Qu’un enfant puisse reprendre le fait que sa mère se substitue à lui et qu’il adhère à cette substitution-là, dans la transmission d’une douleur ou la prise en compte d’une douleur… n’est pas tout à fait de qu’ils évoquent. Car on risque de l’entendre dans ce que ce serait une transmission par la mère d’une douleur qu’elle a ressentie. C’est-à-dire qu’elle souffrirait pour son enfant et, du coup, il prendrait le relais de cette douleur. Ce n’est pas tout à fait ça. D’ailleurs, Jean Bergès le précise bien[9]:

Quand la mère vient se mettre à la place de l’enfant. Elle lui exprime qu’il devrait ressentir une douleur sinon, il ne la ressentirait pas. L’enfant doit donc venir à la place de la mère, pour dire : « aïe ». Ainsi, à cette place qu’il vient de quitter, dont il vient de déloger sa mère, et que l’enfant prend, il s’attribue l’hypothèse de sa mère – et c’est ça l’élément important – il s’attribue l’hypothèse de sa mère qui a dit : « Aïe » après que lui, n’avait rien senti. En somme, il ne prend pas seulement l’hypothèse de sa mère à son propre compte, il la ratifie également. En identifiant son « aïe » à celui de sa mère, il authentifie son dire. A cette place où il est affecté, au deux sens du terme, il n’opère pas une identification de type hystérique ….

« Il s’identifie à l’hypothèse de la mère ». Je trouve ça intéressant. Il s’agit de suivre ce fil-là. Par rapport à l’hypothèse de la mère qui est un signifiant, il va se présenter comme signifiant. Il est représenté comme signifiant à l’égard d’un autre signifiant. Si on suit ce fil, ce n’est pas une identification comme l’identification au trait unaire, qui serait l‘identification à la douleur. Ce n’est pas une identification hystérique. C’est une identification d’un type un peu particulier, qui fait effectivement résonnance avec ce que je vous évoquais au niveau de l’identification transitive, au niveau pulsionnel. On le voit bien dans ce mouvement là. Si on suit le fil : l’enfant va se cogner, dans un mouvement moteur, il va rencontrer un obstacle et à ce moment-là, s’identifier à l’hypothèse que la mère fait, de ce qu’il aurait pu se blesser. Etant signifiant, il s’identifie comme sujet à un signifiant en regard du signifiant de l’hypothèse de sa mère. Il me semble que la douleur que l’enfant ressent à ce moment-là, c’est sa douleur de sujet. C’est la douleur d’être sujet et signifiant. C’est sa douleur d’être de sujet et d’être réduit à un trait signifiant, dans un champ partiel qui est le champ de la motricité. La douleur qu’il va rencontrer et dont il va tenir compte, à se cogner contre un obstacle, c’est la manière dont il peut d’une manière partielle, dans différents lieux, trouver et faire l’expérience de sa position de sujet et abandonner l’être qu’il pouvait être.

Il me semble qu’on peut se référer ici à l’instinct de mort articulé par Freud et par Lacan et qui est corrélé à l’inscription des marques mnésiques. Ces inscriptions sont des marques qui sont des traces de l’instinct de mort puisque c’est ce qui s’oppose au déroulement incontournable de la vie. La marque signifiante, ou la marque mnésique, est une inscription de l’instinct de mort. C’est une inscription aussi du fait que le sujet meurt comme être et advient comme sujet.

C’est la douleur qu’on ressent dans un deuil quand on est obligé de se réapproprier les marques d’identité dont on avait chargé les autres. La douleur du deuil, c’est ça. On reprend ses marques signifiantes, ses marques douloureuses qui font qu’on est sujet avec le poids que ça représente. Dans ce mouvement moteur, l’enfant va se confronter à pouvoir s’approprier, ratifier, l’hypothèse de sa mère comme signifiant. Et la douleur qui vient là, c’est une douleur liée à la prise en compte de sa subjectivité, dans son corps, d’une manière partielle, dans la motricité et dans les différentes expériences et sa manière d’apprécier son empattement.

Ceci s’articule assez bien au masochisme. Freud souligne que le masochisme originaire, le masochisme primaire, est lié à l’articulation de l’instinct de mort et de la libido. Il y a deux parcours pour le masochisme. Un parcours où la motricité va résulter de cette intrication des pulsions. Cela va amener le sujet à se défendre, à se déplacer, etc. Et puis, il y a une autre partie de cette instinct de mort qui va se retourner, je dis cela de mémoire, rester intérieure au sujet, et notamment, être corrélée aux inscriptions mnésiques. C’est quelque chose qui me semble, aller tout à fait dans le sens de la subjectivité qui nous tombe dessus à partir du moment où on consent à s’inscrire dans le symbolique.

Nous avons de quoi discuter. C’est intéressant de remettre cela en jeu parce que dans la clinique … ça vaut le coup d’ouvrir les choses et de ne pas être surpris de l’émergence des pulsions – que ce soit du côté des agir, des actings, des passages à l’acte – comme des temps préalables à la mise en place de symptômes pour les patients qu’on rencontre – que ce soit les enfants, les adolescents et les adultes. Ils correspondent à un temps préalable, qui n’est pas celui du symptôme ou de l’instant de conclure mais qui est le temps du voir. Il s’agit de mettre en place les conditions pour qu’un sujet puisse structurer un symptôme. C’est ce que Lacan appelait l’appel au transfert plutôt que le transfert. C’est un travail préalable qui est éprouvant pour l’analyste, car si on est l’adresse de ces éléments pulsionnels cela va traverser notre corps. C’est éprouvant : marquer les limites pour un enfant hyperactif, par exemple, ou pour certains patients ou encore par rapport à des propos inconséquents. Quand on est pris par un discours inconséquent on est amené à faire repérer au patient que ce qu’il dit, ce n’est pas possible parce qu’il y a une contradiction qu’il ne veut pas voir. On est, à ce moment-là, l’objet d’une grande violence puisque si ce discours entretient le déni, pointer que c’est un déni, il faut le faire avec beaucoup de précautions parce qu’on risque des retours de bâtons.

Isabelle Dhonte : On vous remercie beaucoup ! C’était extrêmement dense et un peu rapide. C’est vraiment à retravailler. Je pense que beaucoup retrouveront là, la clinique à laquelle ils ont à faire avec les enfants dans les entretiens […]Je vous remercie beaucoup.

 

[1] Jean-Marie Forget, Y a-t-il encore une différence sexuée ? Collection Humus, Erès, 184 p., 2014.

[2]Jacques LacanLe Sinthome, Leçon du 18/11/1975.

[3] Les objets tels que Lacan les introduit dans son enseignement sont au nombre de cinq : la voix, le sein, le regard, les fèces et le rien.

[4] Il s’agit de l’instant de voir, du temps pour comprendre et du moment de conclure que Lacan développe dans « Le temps logique et l’assertion de certitude anticipée : un nouveau sophisme » (1945), éditions du Seuil, 1966,pp.197-213.

[5]On dit aussi « dugò ». Outre les travaux de Marcel Griaule, Il existe d’autres publications qui parlent de dugò : Germaine Dieterlen, Les âmes des Dogons, Paris, Institut d’ethnologie, 1941, ou encore   “Le Duge (signe d’alliance chez les Dogon de Sanga)”, Bull. du Comité d’Etudes Historiques et scientifiques de l’A.O.F., XXI (1) : janvier-mars 1938, p. 108-129. On peut, sur ces questions, se reporter aux travaux de Eric Jolly : « Circulation planétaire du masque dogon kanaga », in Afriques au figuré. Images migrantes, sous la direction de Michèle Cros & Julien Bondaz, Paris, Editions des archives contemporaines, 2013, pp. 19-35.« Dogon virtuels et contre-cultures », L’Homme, 211, 2014, pp. 41-74.

[6] Bergès J., « Du tonus et de la motricité dans l’examen de l’enfant », in Nouveau traité de l’enfant et de l’adolescent, P.U.F., 1995, p.659-678.

[7] Bergès J., « A propos de l’axe corporel », in Le corps dans la neurologie et dans la psychanalyse », Eres, Toulouse, 2005, p. 77-84.

[8]S de grand A barré. Signifiant du manque dans l’Autre.

[9] Jean Bergès, Gabriel Balbo, Jeu des places de la mère et de l’enfant : Essai sur le transitivisme, Erès 2010, p. 17, 123 p.

 

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