Patrick Vanuxeem : « Identité remarquable »

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Intervention le jeudi 13 juin à la journée : « Ados d’hier et d’aujourd’hui » organisé à Cambrai
par l’association l’arbre d’or.
Mon propos fait suite à la présentation des foyers Aria, deux M.E.C.S situées rue Roland et
place du Concert à Lille. Chaque foyer reçoit une quinzaine de jeunes filles, dont certaine en
semi-autonomie. Elles ont entre 13 et 18 ans.
Les chefs de services et des éducateurs de ces deux dispositifs ont notamment évoqué
l’évolution des problématiques adolescentes au travers des écrits éducatifs des années 80,
des années 2000 et de nos jours.
J’appellerai mon intervention :
« LES IDENTITES REMARQUABLES »
Ya-t-il une problématique identitaire actuelle ?
On évoque souvent la question identitaire soit en lien avec le sexe ou la sexualité ou encore
avec la question des origines culturelles
Le mot identité ne fait pas à proprement parler du vocabulaire psychologique.
Etymologiquement son sens renvoie à l’identique, au même, idem en latin
Il est utilisé également en logique ou en mathématiques, rappelez-vous ces identités
remarquables qui permettent de factoriser, de trouver les racines à de mystérieux
polynômes.
Dans le champ de l’humain, ce mot identité vient souvent signifier l’appartenance à un
groupe, à une communauté.
Dans le groupe identitaire l’individu tend cependant à se confondre avec le trait commun
qu’il partage avec les autres membres du groupe, paradoxalement à perdre son identité
propre, sa différence, au nom d’une différence.
Je me situerai ici dans une référence à la psychanalyse, domaine dans lequel nous
parlerons plus volontiers d’identification que d’identité.
Dans Psychologie collective et analyse du moi (1921) Freud écrit : « La psychanalyse voit
dans l’« identification » la première manifestation d’un attachement affectif à une autre
personne »
L’identification est un des premiers mouvements du sujet vers l’autre, c’est un moteur du
développement relationnel.
Autrement dit là où l’identité renvoie au social, l’identification est, elle du côté du
psychologique, du sujet.
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Il y a un risque important dans notre discipline d’identifier le sujet à son symptôme ou à son
syndrome.
Etre dyslexique par exemple est un diagnostic, mais peut devenir aussi un trait identitaire
dont se saisit l’enfant ou son parent pour affirmer une différence, une particularité.
Dans son dernier livre le psychanalyste Elie DOUMIT rappelle que la singularité du cas
n’apparaît que comme subversion dans le système des catégories diagnostiques. (Le Réel
en psychanalyse Entre épreuve et preuve EME 2019).
Il y a un réel de la clinique qui nous échappe sans cesse, et que nous cherchons à
appréhender notamment lorsque nous échangeons ensemble au sujet d’une jeune.
Notre propos aujourd’hui étant de souligner que toute présentation de cas est une écriture,
que cette écriture évolue et qu’elle est une narration, voire une fiction.
Pour illustrer la question identitaire dans les foyers ARIA, j’en passerai par la fiction.
Il se trouve qu’en préparant cette intervention je re-visionnais les épisodes de la série
Games Of Thrones (GOT) et que l’un des personnages principaux de cette SAGA est une
jeune fille au nom Arya qui s’écrit avec un y et non avec un i comme dans notre dispositif.
Cela se prononce donc pareil mais cela ne s’écrit pas pareil.
Le nom Aria, avec i, vient du terme hébraïque « aria », que l’on peut traduire par « chanson »..
En musique c’est une petite mélodie. Ce n’est pas cependant pas toujours une douce
chanson dans les foyers ARIA.
Par contre, ArYa avec un y est un prénom d’origine indienne signifiant noble » et « honorée » en
sanskrit, qui peut renvoyer aussi au terme aryen.
Pour les réfractaires à cette série je résume un peu l’histoire sans « spoiler » la fin, comme
on dit.
L’histoire imaginée par George Raymond Richard MARTIN se déroule dans un univers
d’héroïque-fantaisie évoquant le moyen âge. L’auteur s’inspire de fait historique réel et de
romans littéraires.
Je me réfère ici à la série télévisée et non aux romans dont l’écriture n’est pas terminée.
La fin de la première saison de la série, qui en compte huit, a beaucoup marqué les esprits,
puisque un des personnages principaux Eddard Stark surnommé Ned, le héros en quelque
sorte est cruellement mis à mort par un enfant-roi, né d’un inceste fraternel,
Je ne sais pas si vous l’avez en tête En 1913 dans son livre Totem et Tabou, Freud fait
l’hypothèse qu’à l’origine de la civilisation des lois et des religions, il y aurait le meurtre d’un
père primitif, tout puissant, haï mais aussi envié par ses fils.
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Dans GOT c’est l’inverse qui se produit, ce n’est pas un père primitif qui est mis à mort, mais
au contraire un père civilisé, un type bien, qui essaye de bien faire son travail de main du roi,
une sorte de premier ministre. Il coupe aussi des têtes mais quand c’est lui qui le fait c’est
juste.
L’une des filles de Ned STARK, Arya est présente dans la foule qui assiste à la mise à mort
de son père par décapitation. Elle ne voit cependant pas l’exécution. Son regard étant
protégé par un compagnon d’arme.
La singularité d’Arya avant ces évènements tragiques est qu’elle ne souhaitait pas devenir la
femme d’un roi.
Quelques épisodes auparavant elle a cet échange avec son père.
Elle lui demande si elle aussi pourra devenir comme ses frères le seigneur d’une place forte.
Ned STARK lui répond :
« Toi tu épouseras un grand seigneur, tu règneras sur son château et tes fils seront
chevaliers, princes et seigneurs »
Elle lui répond : « Non, ce n’est pas pour moi »
Son père l’entend et lui offre des cours pour apprendre à manier l’épée.
Elle aura d’ailleurs son épée offerte par son frère Jon SNOW, épée qu’elle nommera aiguille,
se moquant ainsi des aiguilles à coudre destinées aux femmes
Au début de la série Arya semble avoir environ 10 ans, être au frontière de l’adolescence.
Soit un âge de passage entre l’enfance et l’adolescence, moment de la puberté, de la
génitalité où Arya va osciller sur la question de son apparence sexuelle, de son visage et de
son nom.
En effet à la mort de son père, elle s’enfuit en se faisant passer pour un garçon afin
d’échapper aux hommes lancés à sa poursuite.
Ce périple va la mener à la ville libre de Bravos où elle retrouve un assassin nommé Jaquen
à qui elle a précédemment sauvé la vie.
En échange, Jaquen avait réalisé les désirs de vengeance d’Arya en tuant trois de ses
ennemis.
La liste est longue cependant des personnes à qui Arya voue sa haine, et il en reste encore
quelques-uns.
Elle cherchera à intégrer la communauté des Sans Visages, confrérie d’assassins dirigés par
Jaquen.
Ils vouent un culte au Dieu Multiface, un dieu de la Mort Thanatos en quelque sorte.
Les Sans-Visages visent à devenir « personne » en renonçant à leur identité propre. Ils
peuvent alors démultiplier leurs apparences.
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Ils sont au service de la mort considérée comme une délivrance.
Leurs quartiers généraux se trouvent dans la Demeure du Noir et du Blanc. Les murs de ce
temple sont ornés de visages de morts.
Dans cet hymne à Thanatos, Arya va se singulariser.
Bien qu’attirer par cette confrérie, Arya ne s’identifiera pas aux sans visages.
Tout d’abord elle n’obéit pas à tous les ordres de Jaquen, en se permettant de ne pas
exécuter les cibles qu’il lui désigne.
A l’ordre arbitraire elle préfère la justice, elle prend le temps de juger.
De ses rebellions elle en paye le prix. Elle subit de nombreuses maltraitances, des
humiliations dégradantes.
Elle rencontre dans cette confrérie des Sans-Visages une autre fille la gamine abandonnée
qui se montre impitoyable avec elle.
Jaquen rend Arya aveugle.
De cette cécité elle en retire une force, la capacité de se battre dans le noir, qu’elle utilise
pour tuer la gamine abandonnée.
Ce qui semble aider Arya à sortir de l’emprise de la secte est la rencontre avec une troupe
de théâtre et notamment une actrice qu’elle avait pour ordre d’empoisonner. Dans une petite
scénette destinée au public elle assiste à l’histoire de sa famille. Il est possible que cette
représentation bien que caricaturée l’aide à métaboliser, à symboliser.
A la fin de la saison 6 après avoir tué la gamine, elle a cet échange avec Jaquen.
Il lui dit : « Cette fille est enfin personne » l’invitant à rejoindre la confrérie.
Elle lui répond :
« Cette fille est Arya STARK de Winterfell et je retourne chez moi »
Que peut-il y avoir de commun entre cette Arya, princesse d’Héroïque fantaisie
moyenâgeuse et les jeunes accueillies dans les foyers ARIA ?
A première vue Arya semble à l’opposé de ces jeunes.
Dans la série les parents d’Arya sont morts victimes d’injustice la mère est également
assassinée. Ce sont des parents idéalisés, il est en effet plus facile d’idéaliser un parent
mort.
Il reste d’eux une belle image de père et de mère.
Pour Arya ses parents sont morts dans la réalité mais vivant dans le symbolique.
La plupart des parents des jeunes que nous accueillons, sont vivant mais fragiles, en
grandes difficultés dans leur fonction parentale.
C’est cette fragilité qui est à l’origine du placement et de l’accompagnement éducatif.
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Donc d’un côté des parents morts et idéaux, de l’autre des parents vivants mais carents.
Dans GOT, Les parents d’Arya, se prêtent à l’identification, notamment envers le père pour
Arya.
Le passage des sans-visages vient cependant signifier pour Arya un évanouissement, une
chute, une éclipse, une perte de l’image dans ce processus d’identification, éclipse qui
trouve son point culminant lorsqu’elle devient aveugle.
Cet effondrement, cette perte de tout désir, cette difficulté à se projeter, à tenir ses
engagements est souvent traversée par les jeunes d’Aria.
Il s’en suit pour elles une précipitation dans un monde imaginaire où il n’y a plus d’ancrage,
plus de lumière, où aveuglées, gamines abandonnées, elles se battent contre des ennemis
imaginaires.
Car ce qu’il y a également de commun entre le personnage d’Arya et les jeunes des foyers
est certaine manifestation de violence, voire de haine.
L’ennemi semble prendre tous les visages.
Il existe en psychiatrie un trouble de nature paranoïaque nommé le syndrome de Fregoli qui
doit son nom à un artiste Italien des années 1900, acteur et ventriloque, qui était réputé pour
ses changements de costume très rapide. Dans cette maladie, le patient est persuadé qu’il
est persécuté par un ennemi qui change sans cesse d’apparence (voir à ce sujet le livre de
Stéphane Thibierge Clinique de l’identité PUF 2007).
Les sans visages viennent signifier l’échec des identifications, de ce que l’on va prendre à
l’autres pour se construire. Il y a glissement d’un visage à un autre comme si rien de
signifiant ne pouvait s’ancrer.
Ne plus avoir de visage c’est devenir personne, ne plus avoir de nom.
Le passage des sans-visages, c’est zéro identité, c’est n’être plus rien.
Dans la réalité nous observons en réponse la tentative de donner la valeur un à l’identité,
devenue une et une seule, en sur-jouant l’appartenance à une orientation, une communauté
voire à un trouble psychiatrique.
Le groupe d’appartenance revendiqué ayant par ailleurs souvent été l’objet d’une
ségrégation, d’une injustice ou d’une reconnaissance tardive qui donne à la revendication
identitaire une connotation victimaire.
A l’extrême, l’intégrisme est bien cette revendication du 1 de l’identité, du sans visage ou du
tous le même visage.
Dans un ouvrage récent, Laurent DUBREUIL, professeur de littérature en université aux
USA évoque LA DICTACTURE DES IDENTITES (Gallimard 2019) :
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« La réclamation identitaire est favorable à la création d’espaces sécurisés où se retrancher
et rester entre soi, où se réfugier contre les microagressions et les tracas »
Le contenu de ses cours en est impacté, comme s’il fallait tenir compte des particularités
identitaires de ses étudiants dans ses propos, dans ses choix littéraires.
La revendication identaire est une la faillite de l’identification.
Pour reprendre les propos d’Elie DOUMIT « il y a dans l’affirmation identitaire une position
de jouissance »
Patrick VANUXEEM

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