L’utilité des notions de pulsion et de limites | Jean-Pierre MEAUX

Deux aspects sont essentiels dans la structuration du psychisme : les pulsions et les limites.

Ces déterminants organisent les affects – au premier chef l’angoisse et l’humeur. L’angoisse est l’avatar chez l’homme de la peur chez l’animal ; c’est une sensation. L’humeur est un sentiment et un éprouvé ; elle connote psychiquement le vécu.

En conséquence des pulsions se développent d’autres affects, par exemple l’envie et la colère, qui peuvent être également repérées, bien que moins élaborées chez l’animal. Chez l’homme l’envie conduit à la jalousie qui bien souvent détermine nos conduites. Quant à la colère, elle est fonction de l’impulsivité qui se manifeste dans des comportements violents ; cette force de destruction enflammant tout ce qui dépasse un degré limite.

ORGANISATION PUSIONNELLE

A l’origine seul est déterminant un principe de vie. Cet instinct de vie implique la croissance et la multiplication des organismes qu’il anime. Les végétaux étendent leurs surfaces. Les animaux élargissent leurs territoires.

La pulsion utilise ce que le corps offre comme outils pour qu’elle puisse s’exercer ( zones érogènes ). La pulsion de vie a pour corollaire la recherche du plaisir ( eros ).

A partir du moment où se présente un principe de vie, en résulte automatiquement la perspective d’un retour à l’inanimé. Le principe de vie implique une consommation et une dépense d’énergie. En conséquence il n’y a pas recherche d’un niveau le plus bas d’énergie mais seulement la menace que ce niveau le plus bas n’entraîne par un effet de rétroaction une régression jusqu’à un anéantissement.

Chez l’homme ces motions opposées produisent : érotisation alliant souci d’autoconservation et libido d’une part et perspective d’un retour à l’inanimé d’autre part.

Cette perspective d’un retour à l’inanimé, nous la désignons pulsion de mort, pulsion de destruction, destrudo…

De cette configuration libido-destrudo résulte une poussée qui en est le rejeton obligé. Cette force peut être considérée organisée comme une véritable pulsion. Il s’agit de la domination ( encore dénommée emprise ), devenue un principe, à l’égal du principe de vie ( en tant que princeps ).

Pour que se pérennise leur espèce, les animaux ( et leurs derniers avatars, les humains ) ont dû chercher à affirmer qu’ils étaient les maîtres. Ce principe de domination et eros se sont développés de façon coextensive dans la gens humaine.

Dominer autrui oblige à le contraindre et lui retirer tout ou partie de ce qui est en sa possession. Ce qui peut être considéré répréhensible. Etre civilisé implique que nous ayons des valeurs morales ; en conséquence nous avons inventé les notions de Bien et de Mal.

A l’origine la pulsion de domination est une émanation de la pulsion de vie. Mais elle asservit autrui ou affaiblit sa volonté et lui nuit. En conséquence elle participe à la fois de la pulsion de vie et de la perspective qu’autrui soit annihilé.

La pulsion de domination concourt avec la pulsion de vie, dans le meilleur des cas, à l’édification d’une civilisation. Les femmes sont les gardiennes de la pérennisation des sociétés. Cette configuration a quelque parenté avec une structuration hystérique. Elle est favorable aux créations artistiques. Mais le développement extrême de celles-ci peut conduire à un insondable qui appelle en retour une remise en ordre…

Les hommes préfèrent faire la guerre. La guerre est la version socialement adaptée de la conjonction de la pulsion de domination et de la destrudo. Elle reste meurtrière pour ceux qui sont les plus démunis. Elle est devenue économique et financière pour ceux qui se considèrent plus évolués.

ET APRES ?

Qu’elles soient hystérique, obsessionnelle, d’angoisse ou phobique, les névroses sont des productions des aléas pulsionnels.

La libido et la pulsion de domination sont à l’œuvre dans la névrose hystérique.

Dans la névrose obsessionnelle sont à l’œuvre au 1er chef la destrudo et secondairement la pulsion de domination.

Dans la névrose d’angoisse l’angoisse reste flottante. Dans la névrose phobique l’angoisse se fixe sur un objet phobogène.

Dans les perversions les trois types de pulsions sont à l’œuvre avec différentes dominantes : sexuelle ( fétichisme ), de destruction ( sadisme ), de domination ( voyeurisme, exhibitionnisme ).

Chez l’homme l’angoisse est corrélée aux aspects particuliers de l’altérité. L’angoisse est toujours présente dans les névroses. Elle est peu ou pas présente dans les perversions.

La perversion a un produit dérivé : la psychopathie. Dans la psychopathie : point d’angoisse. La psychopathie concerne le socius et non à proprement parler l’altérité. C’est à la société, directement ou indirectement, que s’adresse le psychopathe.

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Et ce qui pose question avec l’interrogation de la limite ?

Evoquons d’abord celle des limitations, celle de la frontière – différente de celle de la limite.

La limitation concerne la névrose quand on cherche à la franchir, c’est à dire à transgresser un interdit – avec la culpabilité y afférent, prenant en compte l’existence d’autrui. Elle concerne la perversion quand le sujet la franchit allégrement.

Et la limite ?

LA LIMITE : PROLEGOMENES

Le néant est par essence vide. Le zéro est le rien. Ils ne peuvent être habités. Ils sont à la fois objet de rejet et d’attirance. Quand il est en relation avec la pulsion de destruction, le zéro est ce à quoi tend le Mal absolu. Le zéro est une menace permanente ; car il est une limite qui, dans l’absolu si elle est franchie, ne laisse aucune possibilité de retour.

L’infini est par essence sans limite – ce dont rend compte la suite des nombres. L’infini est incommensurable dans le temps et l’espace. Il permet toutes les perspectives – mais son évocation les empêche d’être structurées.

Tant l’arrêt sur limite que le sans limite sont source d’angoisse. Pour leur faire pièce, l’homme a inventé le Un. Le Un donne l’illusion d’une totalité rassurante. Du côté de l’infini, le Un se trouve protégé par la suite des nombres. Du côté du zéro la faille est plus radicale – si vous n’y prenez pas garde, vous vous y trouvez vite précipité.

ET APRES ?

Et ta limite ? Cette question, certains la posent quant à l’agencement de leurs pulsions, surtout si elles sont désordonnées.

La question peut rester ouverte et béante : bouche d’ombre qui aspire le sujet dans la mélancolie, hyperactivité débridée à des titres divers dans la manie.

Dans la psychose se trouvent interrogées à la fois la question de la limite et la problématique altérité- aliénation. En tentant pour certains sujets de les exclure radicalement ; en tentant pour d’autres de maintenir désespérément tout à l’identique.

Un sujet n’existe en tant que tel qu’à la condition d’être désirant – à savoir que son désir est désir du désir de l’Autre. Le paranoïaque est sous emprise, sans condition et sans limite. Sans avoir pu développer de suffisants refoulements, il ne lui reste que la projection pour parer aux pulsions de domination et de destruction. Avec pour corollaire un transitivisme et des thématiques de persécution ( qui sont considérés délirants puisque non conformes à la prise en compte d’autrui dans sa spécificité ).

Le sans limite est également le sans repères qui produit la perte des liens et tous les aspects de dissociation dans la schizophrénie.

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ET EN CONSEQUENCE…

JOUISSANCE – CHOSE

A l’origine : un élan de vie – avec la perspective d’un retour à l’inanimé. Il n’est pas question de postulats mais de simples considérations logiques.

La mise en opposition de cet élan de vie et de ce retour à un inanimé établit une pulsation, puis un rythme ( du fait de sa persistance et de sa répétition ) qui jaillit d’un bruit de fond ( si tant est qu’un fond fasse du bruit ).

C’est de cette pulsation que s’origine la jouissance ; c’est là que se constitue l’exercice de la Chose.

En deça du narcissisme opère la sublimation qui, selon Lacan : “ élève un objet à la dignité de la Chose “.

La Chose est ce qui donne consistance à la jouissance. La jouissance conjoint libido et destrudo. Elle gît à leur intersection, versant tantôt d’un côté tantôt de l’autre.

La Chose est ce que Sade a voulu mettre en acte, ce que le psychanalyste cherche à élaborer, ce que l’artiste tente de transmuter. Là où l’analysant cherche à mettre en texte avec des représentations de mot, l’artiste tente de saisir des représentations de chose.

REEL – SYMBOLIQUE – IMAGINAIRE

A la faveur de ces distinctions se dessinent les trois catégories essentielles du symbolique, du réel et de l’imaginaire.

Les pulsions sont contenues grace à ce que structure le symbolique, avec les contraintes qu’exercent le langage, les traditions et les lois. Dans le réel les pulsions se déchaînent à ciel ouvert. Dans l’imaginaire elles s’expriment en étant représentées.

Quant aux limites, elles sont apparentes dans le symbolique, absentes ou rejetées dans le réel, floues ou transfigurées dans l’imaginaire.

CE QUI ADVIENT ET SE POURSUIT

Ainsi prennent forme des catégories cliniques à partir de ce qui questionne quant à l’intervention des pulsions et les interrogations sur la notion de limite.

S’y trouve intriquée chez l’homme la problématique de l’altérité et de l’aliénation, telle que définie par la psychanalyse lacanienne à partir des lieux de l’autre et de l’Autre, avec les distinctions essentielles en résultant dans les psychoses.

Il en est de même des différentes déclinaisons de l’objet a, qui sont à l’œuvre dans ce qui en conséquence articule chez un sujet sa demande et son désir.

Jean-Pierre MEAUX

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