IA ET PENSEE
Partons du fait caractérisé que la pensée différencie l’homme du robot. Nous pouvons concevoir que le robot puisse élaborer un commentaire des opérations qu’il effectue. Qu’est-ce qui différencie ce commentaire des pensées ?
Certes à l’égal de ce commentaire je peux orienter ma pensée mais celle-ci peut également surgir sans que j’exerce sur elle un contrôle délibéré. Nous avons coutume de dire que nos pensées vagabondent. Sont-elles pour autant sans ancrage ? Vous allez me faire remarquer que sans ancrage elles ne ne peuvent s’inscrire et laisser une trace. C’est dire ici l’importance du jeu de l’écriture.
C’est dans cet apparent indéterminé que gît l’Inconscient. Impossible de prévoir où vont me mener mes associations d’idées. C’est bien cet impossible qui me distingue d’un robot.
Ces pensées ne sont pas pour autant dissociées sauf dans le cas de figure de modalités schizophréniques. Hors ce cas de figure elles cheminent dans un réseau de voies balisées.
Qui pense ? A cet égard il faut faire la part de ce qui est on ne peut plus banal ; il est plutôt rare que nous ayons une pensée originale. Ce qui le plus souvent abonde, ce sont les pensées de Monsieur Tout le Monde. Dans ces conditions ce qui pour nous se formule est ce qui dans toutes les circonvolutions pullule. Il est plutôt rare que nous puissions faire la part de ce qui dans un ensemble nous semble nous définir et nous appartenir. Comment distinguer ce qui me particularise alors qu’il me faut naviguer dans ce qui se mondialise.
Les milliardaires qui investissent dans l’intelligence artificielle ne s’intéressent guère à nos modalités de pensée. Seul notre cerveau les intéresse. La pensée n’est qu’un sous-produit. On peut même considérer qu’elle est plus gênante qu’utile. Il vaut mieux laisser de côté ou neutraliser cet artefact.
Bien souvent nos pensées sont influencées par ce que quelqu’un nous a suggéré. Ce quelqu’un a orienté nos réflexions dans une direction déterminée. Nos aspirations et nos convictions ne sont que les produits de ce qui en nous a été induit. Nous estimons être libres penseurs alors que dans toutes nos fibres vibre le limon qu’y ont déposé quelques censeurs ou quelques farceurs. On ne peut pas ne pas remarquer cette fausseté dans cette liberté revendiquée.
Quoi qu’il en coûte, nous ne ne pouvons à ce sujet qu’avoir des doutes.Nous ne pouvons avoir que de la défiance quant à la provenance de ce dans quoi notre esprit est pris. Il y a plusieurs maillons là ou ça abonde ; au portillon il y a du monde.
Quand je pense à quelqu’un avec suffisamment d’attention, je m’identifie à cette personne. Je suis dans ces conditions censé descendre dans les méandres de ses pensées. À l’apogée de cette exploration on ne peut que s’interroger sur la destination. Suis-je encore domicilié à portée de chez moi ou mes souliers m’ont-t-il transporté sous un autre toi(t) ?
A vouloir empocher ce que vous recherchez, votre butin devient indistinct. À vous obstiner avec autrui à vous envelopper, réciproquement vous vous destinez à être happés dans un enfermement. C’est pourquoi il est prétentieux de considérer que votre pensée vous appartient et plutôt fallacieux qu’elle serait votre bien.
Lacan nous a bien signifié qu’il n’y a pas d’identité qui tienne. Ce qui structure notre personnalité, ce sont des identifications. Croire qu’une identité nous définit est une illusion, une passion ou une folie, selon les diverses façons dont peut se constituer le narcissisme.
Quand je pense – et cela se présente assez souvent – j’ai tendance à penser que ma pensée m’appartient en propre ; même si rien ne garantit que cette propreté soit impeccable. Cette pensée nous la qualifions de pensée intérieure – façon d’être assuré que c’est bien notre esprit qui l’a élaborée.
Quand nous sommes en échange de pensée avec un autrui, il nous arrive de comprendre intuitivement ce qu’il va nous communiquer. Il nous arrive de percevoir ce qu’il va élaborer ou nous nous répondre avant même que cela ait germé dans son esprit.
Si nous avons si facilement accès à ce que cet autrui pense, il se peut très bien qu’il ait accès à ce que nous-mêmes pensons. N’est-il pas présomptueux de croire que nos pensées nous sont réservées. Comment est-il possible de considérer notre esprit étant un espace clos ?
Comment puis-je être sûr que cette pensée qui me vient est bien la mienne ? D’autant que je ne sais guère comment elle se forme et s’établit. Et pourquoi à cet instant cette pensée et pas telle autre ? A partir du moment ou plusieurs pensées sont susceptibles d’entrer dans mon champ de conscience, leur provenance peut être diverse. Comment ne pas douter de leur caractère personnel au regard de cette diversité.
A la faveur de notre utilisation d’Internet et des réseaux sociaux, les ingrédients de notre sphère privée sont mis sur la table : antécédents, histoire de vie, appréciations personnelles et aspirations, centres d’intérêt, péchés mignons ou pas. A partir du moment où tout ça vous échappe, vous ne savez pas ou tout ça part. Ce n’est plus de l’étalage ; cela devient de la dispersion.
Fort heureusement nous disposons actuellement de toutes sortes d’aménagements ; mais pour mouiller dans ce port, nous devons payer le prix fort. La mort de la pensée devient corrélative de l’envahissement de notre sphère existentielle par toutes sortes d’objets que nous affectionnons. Dans quelques années les exégètes seront étonnés que nous les ayons dénommés gadgets.
C’est à dessein que nous leurs confions notre destin. C’est au développement des techniques dans toutes nos pratiques que nous devons tous les progrès qui nous agréent. Notre bien-être et notre confort constituent nos biens suprêmes. Dans cette intention nous portons à notre actif toute sortes de dispositifs. C’est là notre principale préoccupation. Voilà un but qui nous permet de faire l’économie de beaucoup lutter.
Certes cela ne supprime guère la prime que nous accordons à l’envie et à la jalousie qui sont les sentiments que nous portons au firmament. Mais ce que nous apporte la Science est ce que nous pouvons tous partager sans qu’a priori quelqu’un soit avantagé. Vous allez m’objecter qu’il n’y a pour moi que des avantages et de fait tout dépend de l’usage que je peux faire de cette liberté.
Mais ce n’est pas pour autant de temps et d’énergie dont il s’agit. Car ce sont d’autres qualités qui ont maintenant la priorité. C’est à d’autres facilités que nous nous nous adonnons à satiété. Plus rien ne nous titille dont il faudrait que nous soyons délivrés ; n’est important que ce qui nous est livré à domicile. Point d’attrait côté ; plutôt le prêt à porter.
Actuellement point besoin de tancer ce qui est pensé, car la rigueur n’est plus à la bonne heure. Vous vous ne pouvez trouver un appui dans ce qui est la sortie ; aujourd’hui tout vous est servi tout cuit tout rôti. Soyez entiché d’un consensus ; vous n’avez plus à rechercher un plus. Ralliez
vous au plus grand nombre ; plus personne ne vous fera de l’ombre. La réflexion n’est plus un acte banal ; y prêter attention fait de vous un original.
IA – CAUSALITE PYCHIQUE ET MACHINES
Avec l’Inconscient l’homme n’est plus soumis au seul organicisme. Il se trouve soumis à d’autres déterminismes qui sont ceux de son Inconscient. Il a perdu la liberté chère au vœu de Henri Ey et a gagné le libre jeu de ses motions inconscientes.
A l’occasion du colloque sur la causalité psychique, ce qu’indiquait Jacques Lacan, c’est que l’homme n’est pas maître dans sa demeure. Il est agi – il est pensé par son Inconscient ( cf la question posée par Laplanche : le fantasme est il conscient ou inconscient ? ).
Une autre forme d’assujettissement – pardon le terme est mal choisi – je voulais dire d’asservissement apparait. Dans ce système les modalités de fonctionnement sont élaborées de façon stricte. Certes ce système est doué d’apprentissage, mais peut-il se permettre quelque fantaisie ? Car dans un système binaire il n’est plus question de liberté.
Selon leur définition les machines sont des architectures qui, tant par leur agencement technique que par l’augmentation continue des puissances de calcul, sont appelées à être dotées de qualités d’expertise et de compétences décisionnelles sans cesse améliorées. Ces technologies de la perfection sont vouées à imposer avec toujours plus de fermeté leur autorité à la communauté des vivants. C’est bien ce caractère de recherche de perfection qui constitue un absolu.
La machine est capable de reproduire à la manière de… Elle est et sera de plus en plus en capacité d’exceller en la matière. Mais il ne suffit pas qu’il y ait de la variété dans les motifs pour qu’on en conclue que la série est animée, au sens où nous l’entendons pour l’Inconscient.
Les algorithmes méconnaissent la dimension de l’impossible. Ils ne cherchent qu’à rendre méconnaissable la catégorie du hasard. Les êtres humains sont voués à des déterminismes. Les robots sont des automates soumis à une seule logique mathématique.
Il est tentant de mettre en parallèle la conscience des humains et l’autocontrôle des robots, qui leur permet de modifier leurs conduites en fonction de l’environnement (sur le mode du contrôle réverbérant des neurones).
Le réel est ce qui échappe au contrôle et régit l’être humain hors les catégories du symbolique et de l’imaginaire. La réalité est ce à quoi se trouve soumis un robot quand il est confronté aux changements qui se présentent dans son environnement.
Certes avec l’IA forte nous sont promis des modes de fonctionnement dont le résultat ne serait pas seulement conséquence de répétition d’automatismes. Mais les programmateurs se rangeront dans deux catégories qui, quoi qu’ils puissent dire, seront effectives : celle des purs scientifiques et celle des apprentis sorciers. Dans le premier cas le développement de systèmes est soumis à une protocolisation réglementée avec des évaluations successives et un ajustement des procédures – bonjour les débats. Dans le second cas l’aventure paraît hasardeuse avec des conséquences imprévisibles – bonjour les dégâts.
IA – REVE
Il est tout à fait concevable qu’un cyborg puisse élaborer un scénario à la manière de… Il peut à cet effet puiser dans son stock gigantesque de données de toutes sortes : audio, vidéo… pour créer de nouveaux agencements et les mettre en scène en œuvrant en fonction de schèmes idéologiques
directeurs. Les producteurs sont assurés que le résultat final sera conforme à leurs visées commerciales.
Un cyborg sera-t-il satisfait d’avoir effectué telle ou telle réalisation ? Pourquoi pas – il est tout à fait possible de lui accorder une prime de plaisir qui le mettra en joie – en joie et en appétit – un appétit qui peut venir initier un processus de répétition.
Les Cyborgs rêvent ils ? En première analyse ils ne rêvent pas parce qu’ils ne dorment pas. Sont-ils capables de rêveries ? On peut en douter car il faut à cet objet être doué pour quelque forme de fantaisie.
Le rêve figure au premier chef l’expression d’un désir. Désir du désir de l’Autre ; en l’occurrence celui de son concepteur. Quel désir en la matière ? Si ce n’est qu’il soit toujours plus compétent et plus efficace. Ce désir de plus de compétences, de plus d’efficacité, c’est bien sûr celui de ce concepteur en position de deus ex machina.
Dans le rêve opèrent les mécanismes de déplacement et de condensation calqués sur ceux de la métonymie et de la métaphore. Alors passe pour la métonymie. Nous pouvons concevoir un cyborg accédant à la mise en oeuvre du déplacement. Quant à la métaphore…
Et les rêves traumatiques ? Le rêve traumatique implique pour un être une conscience aiguë de sa finitude. C’est bien la crainte de celle-ci qui constitue le caractère traumatique de l’agression qui rend celle-ci terrible. La possibilité d’une telle conjecture est donc liée à la connaissance que pourrait avoir un cyborg de sa fin dernière. Pas étonnant que dans l’avenir il y en ait qui souhaitent échapper à leur obsolescence programmée.
IA – OUBLI
Ce qui caractérise également la pensée, c’est sa capacité à l’oubli. Une mémoire artificielle n’oublie pas, sauf détérioration de ses circuits. Il en est de même d’une mémoire naturelle en cas de perturbations neurodégénératives.
Cet oubli ne résulte-t-il pas du refoulement ? Certes le refoulement spécifie l’humain.
Nous pouvons cependant émettre l’hypothèse qu’il existe un oubli propre à la mémoire naturelle.
Ne nous arrive-t-il pas de nous souvenir d’un mot oublié quelque temps après avoir vainement tenté de nous en rappeler. Certes il peut s’agir là plus d’un effet de nos résistances, mais peut-être pas seulement de celles-ci.
Dans cet oubli de la mémoire naturelle n’y a-t-il pas un effet propre du signifiant ? Ce qui constitue un argument supplémentaire pour prendre en considération l’importance du langage dans ce qui structure cette mémoire naturelle. Étant entendu que ce qui se désigne sous le terme de signifiant n’est pas qu’un pur élément langagier car à lui se trouvent attachés par association des fragments de ce qui constitue nos expériences personnelles.
IA – OBJET – ALTERITE – DESIR
L’attrait pour les robots est-il de l’ordre d’un fétichisme ? Sommes nous voués avec les androïdes à une perversion généralisée ? Dans les deux cas ce sont des scénarios prédéterminés et répétitifs, avec une toute-puissance de l’objet mise au service de la pulsion d’emprise.
Il s’agit toutefois ici d’un objet partiel destiné à une utilisation spécifiée. Il y a une fixation exclusive à cet objet avec une suspension de la chaîne signifiante. L’articulation s’effectue sur un mode métonymique, de façon détachée de l’histoire du sujet. Avec pour partie prenante une désubjectivation.
Les objectifs d’un robot sont déterminés. Ils sont étroitement dépendants de sa programmation. Ils sont en cela qualitativement différents de ceux d’un humain chez qui prévaut la variabilité de l’objet de la pulsion.
Pour un robot la prégnance d’un objet a n’est pas advenue. Quel plus de jouir pour un robot ? Lui qui n’aspire qu’à la répétition du même.
A ce titre nous pourrions considérer qu’il existe pour le robot un Autre de l’Autre. Car il y a lieu de prendre ici en compte l’automaticité de la mise en place des procédures ; une réglementation renvoyant à une autre réglementation.
Les robots ont des points de ressemblance qui constituent des biens communs. Contrairement à ce qui caractérise l’humain, ce qui est en rapport avec leurs différences ne pourra constituer un argument pour qu’ils se considèrent étrangers l’un vis-à-vis de l’autre. Étrangers au sens de animés par des différences dans ce qui pourrait spécifier leurs désirs.
Cet aspect de mêmeté n’est pas sans nous subjuguer au point de nous inquiéter, en l’absence de véritable familiarité et en opposition à ce qui caractérise nos différences. Ce qui confère à la relation a a’ que nous pourrions avoir avec un robot son caractère de fascination.
Un robot peut avoir deux modes de fonctionnement. Ou bien il est soumis à ce que son concepteur a élaboré ; et il est sous influence. Il peut être aussi sous l’influence de ce que lui ont communiqué d’autres robots ; il est soumis à une machine à influencer. Ou bien il se met en action sur le plan moteur et cognitif de façon autonome, en correspondance avec l’organisation de ses propres réseaux.
Il en va différemment pour un humain soumis à la dynamique du schema L. Le désir de l’homme est le désir du désir de l’Autre. Le robot est-il disposé à effectuer cette gymnastique ?
Le problème à l’avenir viendra plutôt de savoir comment vont cohabiter des populations diversement modifiées. Si telle ou telle faculté d’un humain se trouve artificiellement modifiée, quelles conséquences en résulteront sur ce qui structure son Inconscient ? Quelle influence peut avoir l’intervention de celui qui a été l’initiateur de cette modification ?
Quel dessein pour le concepteur ? Quel Autre pour les tenants et aboutissants de l’économie numérique ? Il semble que les seuls soucis soient ceux de la performance et de la rentabilité, ceux de la prouesse technique et des retombées de l’innovation : valeur marchande, modernisme, renommée.
Sortir de la banalité du quotidien, du faire comme Mr Tout le Monde. Transgression des limites et non plus d’un interdit ; ceci tant sur un plan individuel que collectif. Homo Deus est une dénomination pouvant être considérée inexacte car elle implique que l’homme devienne à l’égal de Dieu. Or le Dieu de la religion n’existe que s’il s’intéresse aux hommes ; ce qui est peu probable de la part d’un être qui ne serait mù que par une IA.
Un être pourvu d’une IA est-il capable d’être mù par un désir ? Ne répond-t-il pas uniquement à la demande de son concepteur ? Succès d’une idée dans un environnement technique précis. Sans aucune considération véritable sur les conséquences quant au bouleversement
provoqué, dans la mesure où ce qui est bouleversé n’appartient qu’au passé. On pourrait penser que ce manque de réalisme – même si ceci n’est qu’une expression – résulte d’un optimisme béat ; il relève plutôt d’une neutralisation de tout affect au bénéfice du seul but recherché.
IA – LANGAGE
Dans Encore Lacan nous indique que : “ le je n’est pas un être, c’est un supposé à ce qui parle “. Ce supposé à ce qui parle en indique un Autre barré. Avec le robot cet Autre ne s’est pas barré. Il est bien présent ; il est même omnipresent. Puisque c’est lui le concepteur – erreur, car il n’y a pas ici de concept – c’est lui le programmateur.
La transmission des messages informatiques s’effectue sur un mode binaire. Seuls sont utilisés les chiffres. Un chiffre ne se définit dans une série que par rapport à celui qui est en plus et celui qui est en moins. Il en va différemment du signifiant qui est un agencement de lettres et qui contribue à inscrire un sujet dans un ordre symbolique. D’où son rapport essentiel à l’Autre, trésor des signifiants.
Il est tout à fait possible d’imaginer qu’un chat box converse avec un langage structuré. Pour autant cela en fait-il un langage humain ? Car le langage que véhiculera un robot résultera toujours de l’utilisation de bases de données valables pour tous et d’un certain nombre de locutions et de formules qu’y aura insérées celui qui l’a fabriqué ou qu’il sera allé chercher suivant les mêmes prémices.
Les robots ont su trouver le chemin du langage ; nul ne peut les priver de cet avantage. Posez leur des questions ; il vous répondront sans hésitation et sans contestation. Il vous sera répondu sans superflu commentaire, tant est étendu leur vocabulaire. Les robots ont horreur d’être tête en l’air ; ils ne font point d’erreur de grammaire.
Cependant l’usage de la métaphore n’est pas leur fort. Tout ce qui est approximatif ne peut être porté à leur actif. C’est un des seuls domaines où ils perdent haleine. Il semble que l’on ait guère à craindre que ce but ils puissent l’atteindre, même de haute lutte.
Peut-on considérer que les machines sont dotées d’un langage computationnel qui fonctionne dans le registre d’un réel ou s’articulent des signifiés ? A ce réel ne s’articule pas un symbolique car n’opère pas ici l’articulation de signifiants. Il s’agit d’un autre ordre mettant en jeu une organisation avec des règles obligées de par la mise en place d’algorithmes.
IA – MECANISMES DE DEFENSE
Un homme augmenté reste un homme. Un cyborg ou un robot sont d’une autre nature, ou plutôt d’une autre composition. Toutefois cette distinction pourrait dans l’avenir être moins déterminée.
A la 2e catégorie peut tout à fait se programmer un mécanisme de déni. Il suffit d’en délimiter les objets ; à noter que ceux-ci doivent être circonscrits.
Il en va différemment d’un mécanisme de refoulement qui semble spécifier la catégorie des humains. Refoulement et non censure car une censure peut tout à fait être instituée pour les cyborgs et les robots. Le refoulement implique un surmoi.
En effet le surmoi d’un humain est tout à fait différent de celui qu’on pourrait supposer à un cyborg ou un robot. Pour ces derniers nous pouvons concevoir une censure en lui attribuant des
significations spécifiées. Il en va différemment pour le refoulement qui implique une autre signifiance.
Si tant est qu’un cyborg soit régi par un mécanisme de refoulement, il faudrait préciser de quel refoulement il s’agirait. Le refoulement est organisé par un surmoi constitué de préceptes qui frappent d’interdit certains percepts. En l’occurrence des interdits portant sur ce qui est sexuel ; mais un cyborg peut-il avoir accès au non-rapport sexuel ?
IA – RSI
Un robot possède des capacités mnésiques supérieures à celle d’un humain. Il doit cette faculté à la facilité avec laquelle il peut communiquer avec des mémoires qui lui sont extérieures. Peut-on considérer qu’un robot est un étant, mais qu’il ne peut atteindre la qualité d’un être ?
Un robot est essentiellement destiné à être dans l’action. A la différence de l’humain il ne peut être dans la réflexion. Considérer que la contextualisation permet de distinguer un humain d’un robot est un faux problème.
Est-il possible de concevoir qu’un robot ait directement accès à une forme de réel ? Son fonctionnement est essentiellement basé sur l’utilisation d’algorythmes, c’est-à-dire de formules mathématiques.
Il fonctionne également en étant soumis à des éléments dans un cadre déterminé, à un agencement de règles – cf les 3 lois de la robotique édictées en 1940 par Isaac ASIMOV. Il serait alors possible de considérer qu’il se trouve soumis à des déterminants symboliques. Mais cette hypothèse pose la question de la pérennité du sujet de l’énonciation.
Il paraît difficile d’allouer à un robot des potentialités ou des réalisations dans un registre qui appartiendrait à un imaginaire. Pourtant jouer de la fonction de l’image lui sied à merveille.
Peut-on considérer que ce que promeut le transhumanisme est une prévalence d’un réel avec exclusion d’un symbolique ? Ce peu d’importance accordée au langage et tout ce qu’il implique sur le plan culturel pourrait le laisser penser. La visée est affichée, sans qu’elle soit discutable. Elle n’est comptable que du succès ou de l’insuccès qu’elle rencontrera.
Pour un humain l’impossible n’existe en tant que tel que si toutes les catégories du possible ont été explorées. Pour un robot l’impossible est inscrit dès sa conception. Cet impossible là est tout à fait prévisible. L’impondérable est pour lui inconcevable.
C’est le triomphe de l’information en lieu et place de la formation. Le tout génétique constitue un tout – j’ai mes tics. Ce qui se transmet de génération en génération n’est plus fondamental. Il en est de même de la négation des différences sexuelles.
Tout bon darwiniste peut se retrouver dans le développement des nanotechnologies. A savoir que l’on peut procéder à la manipulation de la matière sans qu’on enconnaisse le résultat.
On ne retient de la transmission que ce qui est utile au projet propre, en éliminant tout ce qui appartient à un contexte passé.
Le transhumanisme a pour but à la fois la mécanisation de l’humain et l’hominisation des machines. Il participe de l’homogénéisation des mœurs a la faveur d’une standardisation des procédures.
Il arrive que l’homme croit que c’est Dieu qui l’a installé sur Terre. Mais beaucoup à ce sujet ont quelque doute. Ou bien il considère qu’il est le fruit de l’évolution des espèces. Mais le moins qu’on puisse dire c’est que cela a pris un certain temps.
Pour le robot il n’y a pas de doute possible. Il sait qui l’a créé et comment. Cette certitude ne concourt-elle pas à le priver définitivement d’un Inconscient ?
En retour ne pouvons-nous pas estimer que cette incertitude quant à notre origine en tant qu’espèce nous favorise pour établir les conditions nécessaires à une possible élaboration d’un Inconscient ? N’est-il pas heureux que les robots ne puissent accéder à cette part de mystère ?
Étant entendu que cette incertitude correspond à ce que des découvertes récentes concernant l’épigénétique nous ont appris.
Mère certaine – Père incertain. Proposition mise à mal par l’analyse du génome d’un individu. Mais chaque jour nous découvrons que la transmission de ce qui nous spécifie est plus compliquée que ce que nous avions observé et conçu en première analyse.
Avec le transhumanisme advient une logique implacable qui évacue la dimension du secret. Mais peut-on survivre dans un monde où tout serait su, où tout serait vu par tous ?
Pour un cyborg ou un robot il n’y a pas seulement une transmission automatique. Il peut y avoir intervention d’un aléatoire mais cet aléatoire ne répond pas aux déterminismes qui régissent l’organisation de notre langage.
Autrement dit le réel d’un cyborg ou d’un robot restera celui des mathématiques, avec des enchaînements logiques posés à partir de prémisses qui, même s’ils résultent d’une façon d’observer, correspondent à une observation.
Le réel d’un humain, ce qui échappe au primat du signifiant, est beaucoup plus polymorphe que celui d’un cyborg ou d’un robot. L’aléatoire d’un cyborg ou d’un robot reste soumis à ce qui est de l’ordre de l’événement. Il est curieux de constater que se rejoignent ce qui est le plus déterminé et le plus indéterminé ; autrement dit le zéro et l’infini.
Jean-Pierre MEAUX