CAPTCHA

CAPTCHA
« On sait bien qu’elle ne pense pas cette machine. C’est nous qui l’avons faite, et elle pense ce qu’on lui a dit de penser. »
Jacques LACAN
Psychanalyse et Cybernétique (1955)
En 1950, Alan Turing interrogeait dans son célèbre article « Computing machinery and intelligence » la capacité pour un ordinateur d’imiter par écrit la réponse humaine au point de leurrer un interlocuteur humain.
Aujourd’hui si j’échange avec un inconnu sur un réseau social, qu’est-ce qui me garantit que je n’ai pas affaire à une machine ? Les CAPTCHA (Completely Automated Public Turing test to tell Computers and Humans Apart) sont des tests inspirés de la réflexion de Turing et qui visent à faire la différence entre l’interlocuteur humain et un programme informatique. Ils se présentent la plupart du temps sous forme de caractères d’imprimerie déformés ou d’images dans les quelle il faut distinguer des voitures ou des enseignes commerciales. Autrement dit, c’est du côté de l’image, de l’imaginaire, que l’on cherche la solution. Lacan soulignait d’ailleurs dans sa conférence de 1955 la difficulté pour les cybernéticiens de créer des programmes qui puissent reconnaître des formes, des bonnes formes, des Gestalts. Dans un article paru en Octobre 2017 dans la revue Science, les neuroscientifiques Stanislas Dehaene, Hakwan Lau et Sid Kouider montrent qu’une intelligence artificielle est maintenant capable de résoudre certains types de CAPTCHA.
Mon propos visera après une reprise de l’article de Turing à retourner la question.
Qu’est-ce qui nous garantit que l’autre ne nous répond pas comme une machine ?
Ce qui se décline habituellement en langue de bois, novlangue ou langage technocratique.
Il existe le fantasme d’une langue parfaite, logique, mathématique, que l’on retrouve entre autre chez Leibnitz (inventeur du binaire et de la codification en base 2) ce magnifique Pan /gloss (la langue universelle) imaginé par Voltaire.
On retrouve également cette production imaginaire dans les délires psychotiques de grands mathématiciens comme János Bolyai (un des découvreurs des géométries non-euclidiennes) qui voulait réifier la langue Hongroise.
Une langue parfaite qui exclurait toute subjectivité.
Avec l’informatique il y a un nouage technologique entre ce fantasme et l’outil.
Le clavier de nos ordinateurs nous rappelle quotidiennement que nous avons construit des machines qui écrivent.
(Très prudemment l’article de Turing n’évoque que des machines qui écrivent et non pas des machines qui parlent.)
Chaque bond technologique fait retour sur l’humain.
A la manière du corps robotisé du Charlot des Temps Modernes, le langage de la machine va-t-il venir coloniser le langage humain ?
Du biface et au binaire, l’outil nous forge et ce n’est pas sans conséquences.
Peut-être assisterons-nous dans un futur proche à des scènes où des milliers de personnes déferleront dans les rues en demandant à être écoutés ?
Qu’est-ce que l’écoute ?
A l’inverse du CAPTCHA, de la captation imaginaire, le silence de l’analyste attend.
Patrick VANUXEEM

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