NORMALISATION, INTÉGRATION OU INCLUSION À L’ÉCOLE DES ENFANTS DU SPECTRE AUTISTIQUE

HISTORIQUE

– Depuis son individualisation en 1943 par le pédopsychiatre américain, Leo Kanner, la conception de l’autisme infantile précoce a beaucoup évolué. Faute de marqueur biologique spécifique, la définition du trouble repose uniquement sur une constellation de symptômes construite consensuellement par des votes entre professionnels, largement influencés par des groupements NORMALISATION, INTÉGRATION OU INCLUSION À L’ÉCOLE DES ENFANTS DU

SPECTRE  AUTISTIQUE de famille ou des promoteurs de méthodes éducatives ou thérapeutiques.  D’abord considérée comme désignant un nombre très limité de cas, la  dénomination d’autisme s’est étendue d’un côté vers des enfants jusque là considérés comme souffrant d’un retard mental majeur du fait de lésions cérébrales authentifiées, de l’autre vers des sujets présentant des difficultés de socialisation, avec une intelligence normale voire supérieure ( le syndrome d’Asperger, disparu  des dernières nomenclatures américaines).  Le diagnostic de trouble du spectre autistique (TSA) est aujourd’hui conféré à des populations très hétérogènes auxquelles ne peut être proposée une offre unidimensionnelle.

– Dans l’immédiat après-guerre, les parents d’enfants dits « inadaptés », avec l’appui de professionnels, ont obtenu la prise en charge par la Sécurité Sociale  d’institutions résidentielles ou semi-résidentielles appelées « médico-pédagogiques » puis « médico-éducatives » (IME) parce qu’elles offraient, en un même lieu, des  soins, une éducation et une instruction. Le souci commun des familles et des professionnels était alors de protéger des enfants fragiles du contact estimé trop stimulant voire traumatisant avec le milieu normal et de développer, dans un cadre plus apaisant, une éducation spécialisée, adaptée aux compétences des enfants. Lorsque les travaux américains ont commencé à être diffusés en France, les pédo-psychiatres ont individualisé dans l’ensemble des enfants inadaptés, sous le nom de  psychoses infantiles,   des souffrances spécifiques qui nécessitaient une approche particulière mettant davantage l’accent sur les soins, sans négliger pour autant l’éducation et la pédagogie. Cependant, des parents se constituaient en association spécifique pour les enfants ayant des troubles de la personnalité. Ainsi se sont organisés, en France, deux systèmes parallèles, financés tous deux par la Sécurité Sociale : le système sanitaire représenté, pour l’essentiel, par la pédopsychiatrie publique de secteur, le système médico-social quasi exclusivement associatif. Longtemps, l’impossibilité administrative de prescrire pour un enfant donné une double prise en charge a empêché la collaboration et même maintenu une certaine concurrence entre les deux systèmes.

– Dans les années 1970-1980, à la suite notamment du rapport Lafay, d’autres attentes se sont faites jour, parmi les associations de famille aussi bien que parmi les professionnels. La nécessité de confiner les enfants dits inadaptés dans des milieux protégés a été remise en cause au profit d’une approche nouvelle qui insistait sur les avantages d’une insertion de l’enfant dans des milieux aussi proches que possible de la normale. La critique  générale de la ségrégation sociale opérée par les institutions fonctionnant en milieu fermé a alors conduit à multiplier, sur tout le territoire, des structures ouvertes  de proximité. Les centres médico-psychologiques, les hôpitaux de jour, les centres d’accueil thérapeutique à temps partiel (CATTP) se sont ainsi substitués progressivement à l’hospitalisation psychiatrique à plein temps, pendant que les services d’éducation spécialisée et de soins à domicile (SESSAD) venaient compléter l’offre des instituts médico-éducatifs. Un assouplissement des textes administratifs a permis, pour un même enfant,  des complémentarités entre secteur sanitaire et secteur médicosocial.

– C’est alors que s’est manifesté, chez les parents comme chez les professionnels de l’éducation spécialisée et du soin, un intérêt pour l’insertion en milieu scolaire ordinaire, dit mainstream en pays anglosaxon. L’Éducation Nationale disposait depuis le début du XXème siècle, dans ses écoles primaires, de « classes de perfectionnement » à effectif réduit,  réservées à des enfants en échec scolaire, soit du fait d’une instabilité ou d’une intelligence insuffisamment développée, soit du fait de handicaps sensoriels. Ces classes avaient été complétées, au collège, par des sections d’éducations spécialisées (SES). Les enseignants  recevaient une formation spéciale et certains étaient détachés dans les IME ou dans les services hospitaliers de psychiatrie. Durant  les vingt dernières années du siècle dernier,   une collaboration plus étroite entre les champs sanitaire et médicosocial d’une part, l’Éducation nationale d’autre part, a permis l’ouverture dans des écoles ordinaires (maternelles, primaires et secondaires) de classes spécialisées dans l’accueil des autistes ou la scolarisation dans des classes ordinaires d’enfants du spectre autistique.  Un véritable travail d’équipe en réseau s’est engagé entre enseignants et professionnels du soin et de l’éducation spécialisée.  Les institutions spécialisées se sont ouvertes sur la cité en accompagnant les enfants dans leur insertion sociale et en offrant aux enseignants  une aide dans la compréhension et l’accueil des comportements, souvent anxiogènes, auxquels  ils devaient faire face en recevant des autistes. Il s’y est associé un nécessaire travail de liaison et d’échange avec les familles, soumises non seulement  aux difficultés occasionnées par les comportements  troublants de l’enfant, mais aussi aux astreintes imposées par la multiplication des interlocuteurs. Plusieurs expériences de ce type ont, au fil des années, conduit nombre d’autistes à une vie adulte relativement épanouie. Elles sont aujourd’hui menacées de disparition du fait des nouveaux clivages apparus entre les équipes soignantes et éducatives et l’Éducation nationale ainsi que du fait d’une scolarisation généralisée qui, abusant des perspectives ouvertes par la loi, ne tient plus compte des spécificités de chaque cas.

LA LOI DE 2005

La loi du 11 février 2005,  venue sanctionner l’évolution des mentalités, est généreuse dans ses principes, indiscutable dans sa proclamation de l’égalité des droits et des chances et dans la reconnaissance de l’autonomie des personnes handicapées dans l’élaboration de leur projet de vie. Elle a malheureusement servi de justification à certaines familles d’enfants du spectre autistique pour exiger, au nom de leur enfant,  une scolarisation parfois inopportune  dans une classe ordinaire de l’école, substituée souvent à toute autre démarche soignante et éducative coordonnée. Là où un travail d’équipe était de rigueur, règne aujourd’hui de plus en plus souvent une juxtaposition de mesures sans lien les unes avec les autres. L’enfant confié à un(e) auxiliaire de la vie scolaire (AVS), peu ou non formé(e), fréquente l’ école, souvent à temps partiel. Relégué au fond de la classe, il ou elle répète avec son auxiliaire quelques unes des leçons de l’enseignant, lui-même laissé sans aide technique ou théorique et occupé à conduire le reste de sa classe parfois perturbée par le comportement de l’autiste. Dans la semaine, l’enfant fréquente un cabinet d’orthophonie, un autre de psychomotricité, parfois un goupe d’habiletés sociales ou d’expression artistique. Il peut aussi suivre ici une psychothérapie, là des séances de thérapie comportementale destinées essentiellement à le rendre plus sociable en classe, parfois les deux. Ce choix de  certaines familles pour un morcellement des réponses vise à préserver le droit des parents de bâtir un projet de vie pour leur enfant en limitant le pouvoir des « experts » et en obéisssant à l’idéologie de la normalisation.

LA NORMALISATION

Cette idéologie  a été répandue, en 1972, par un psychologue américain d’origine allemande travaillant à Toronto, Wolf Wolfensberger. Pour résumer en la simplifiant sa démarche, l’auteur du Principle of Normalization affirme que l’institution spécialisée en stigmatisant le handicapé crée son handicap. Placé dans des conditions normales celui-ci est censé se normaliser. L’auteur plaide donc pour la suppression de toute démarche spécialisée. On comprend la faveur avec laquelle les parents d’autistes et les autistes eux-mêmes soumis au regard intrigué, critique voir hostile des autres, ont accueilli cette idéologie. Après avoir longtemps souhaité abstraire leur enfant d’un milieu jugé délétère en les isolant dans des institutions spécialisées et avoir découvert qu’ainsi ils contribuaient involontairement à leur aliénation, certaines familles basculent aujourd’hui dans l’excès inverse. Pour des raisons économiques, mais aussi en se conformant politiquement  à un idéal de normalisation, les pouvoirs publics, à travers plusieurs « plans autiste »,  semblent suivre le même impératif de scolarisation uniforme pour tous, assortie ou non de prises en charge parcellaires,  en même temps qu’ils paraissent accueillir favorablement l’attaque menée  par certaines associations contre le dispositif pédopsychiatrique public et contre une grande partie de  l’éducation spécialisée. Or la norme n’est peut-être pas le meilleur critère pour un développement harmonieux de la personnalité. De même qu’on privilégie aujourd’hui le concept de biodiversité, il faut peut-être défendre une psycho-diversité, s’adapter au rythme de vie, aux particularités affectives et cognitives de chacun et reconnaître tantôt les bénéfices tantôt les maléfices d’une scolarisation en milieu ordinaire. Si chaque enfant a droit aux apprentissages, à la culture  et à la socialisation qu’apporte l’école, encore faut-il qu’il soit en état de recevoir ces apports et que sinon il puisse trouver ailleurs et autrement les apports adaptés à sa situation.

L’INCLUSION

L’inclusion est devenue le concept à la mode. Elle s’oppose à l’exclusion qui a trop longtemps prévalu et veut mettre l’accent sur le devoir de la société d’accepter et d’inclure ses membres les plus défavorisés. Mais le terme n’est peut-être pas aussi heureux qu’il le paraît. Le premier sens que lui donne le Littré est : « Terme de tératologie. Monstruosité par inclusion, celle dans laquelle un ou plusieurs organes d’un fœtus sont enfermés dans le corps d’un autre individu ». L’inclusion est un état où la particule incluse reste toujours étrangère à l’ensemble dans laquelle elle se trouve. Est-ce cet état que l’on souhaite pour l’élève autiste inclus dans une classe ordinaire ?

L’INTÉGRATION

Le terme d’intégration qui prévalait jusqu’il y a peu a été abandonné car il était réputé placer tout l’effort du côté du sujet en voie d’intégration et minimiser le rôle du milieu qui a le devoir d’inclure l’exclus. Littré ne lui connaît que son sens mathématique et le fait dériver  du latin integrare qui signifie : remettre en son  état. Il nous semble préférable car il sous-entend un processus. L’intégration scolaire est  un travail. Elle ne se limite pas à localiser dans une classe un enfant et à l’inscrire sur les registres de l’école. Elle vise à utiliser l’institution scolaire dans toutes ses dimensions pédagogiques, culturelles, socialisantes pour une remise en état de l’enfant autiste, afin de développer outre ses connaissances, sa capacité à entrer en relation avec les autres, à se construire dans ces relations comme un sujet capable de désirer, à trouver du plaisir à se relier aux autres et à relier ses pensées et ses  émotions entre elles. Ce travail,  l’équipe pédagogique ne peut le faire seule, livrée à elle-même. Il nécessite, encore une fois, une coordination entre plusieurs acteurs soignants, éducateurs, rééducateurs, pédagogues collaborant avec la famille dans un climat de confiance mutuelle. Ce climat se construit peu à peu, à travers  les aléas et les conflits  qui émaillent n’importe quel ensemble humain. Il se met au service de l’enfant et à l’écoute de son élaboration personnelle, de ce qu’il vit au sein de cet ensemble. Cette démarche particulièrement expérimentée et théorisée en France sous le nom de psychothérapie institutionnelle, mérite mieux que le mépris infligé par une Haute Autorité de Santé, probablement mal informée.

CONCLUSION

L’hétérogénéité des cas rassemblés aujourd’hui dans le spectre autistique nécessite donc une multiplicité de réponses potentielles. Si certains sujets avec autisme peuvent bénéficier d’une scolarité quasi normale avec éventuellement des aides adjacentes, éducatives ou thérapeutiques, d’autres doivent pouvoir trouver place, dès l’école maternelle et jusqu’au lycée dans des classes spécialisées (CLIS ou ULIS) elles-mêmes coopérant avec des équipes soignantes et éducatives (Centre de jour, CATTP ou SESSAD). D’autres encore, ou les mêmes à d’autres moments, nécessitent l’aide d’un IME résidentiel ou en semi-internat, voire, pour des séjours plus ou moins prolongés, d’une hospitalisation en milieu psychiatrique. L’autisme a suscité trop de batailles ou se sont affrontés des attitudes fondées plus sur des prises de position idéologiques que sur des données scientifiques. Il est temps de revenir à l’expérience, de dépassionner les débats afin de  préserver le destin des personnes autistes et de s’adapter, tout au long de leur vie,  à la variabilité de leurs besoins, en évitant les abandons ou les ruptures et en maintenant entre les diverses prises en charge une articulation et une  continuité.

                                                                                                                                             Jacques Hochmann

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